Frontenac_T1
est un excellent dessinateur mais un bien piètre ingénieur â, et jâai fait le nécessaire pour mettre la ville en état de subir un siège. Comme je vous le marquais précédemment, ces fortifications ont été conçues pour fermer Québec à une attaque imminente, tout en fournissant les retranchements nécessaires à lâinstallation de lâartillerie. Il sâagit de la première enceinte érigée à Québec et lâaffaire est dâimportance, afin de protéger la ville dâune attaque par terre et par mer.
Un des gardes du corps de Louis sortit une gourde dâalcool et la refila aux Indiens. Ces derniers sâen emparèrent prestement, un large sourire aux lèvres. Elle passa de bouche en bouche. Ils adoraient lâeau-de-vie des Français parce quâelle agissait rapidement et leur fouettait les sangs. Mais Louis veillait au grain. Pour éviter de voir ses rameurs sâenivrer, il fit bientôt signe à ses hommes de récupérer leur flacon. La navigation sur le Saint-Laurent était trop périlleuse pour la confier à des rameurs aux réflexes diminués. Il en profita néanmoins pour tirer dâun panier en osier posé à ses pieds une bouteille dâArmagnac, quâil tendit à son secrétaire en lui demandant dâen remplir deux petits gobelets.
Le trait de boisson ambrée quâil ingéra lui réchauffa la gorge et le torse. Il se sentit revigoré. En jetant un Åil sur le ciel chagriné, il vit que le temps était à la pluie. à lâouest, de lourdes masses nuageuses menaçantes et dâun gris sombre sâamoncelaient.
Le canot de Champigny, qui les serrait dâassez près depuis le début, prit une bonne longueur dâavance. On put entendre les Ave Maria scandés à tour de rôle par ses occupants. Câétait une vieille coutume de marin que les canoteurs du pays avaient adoptée pour se prémunir contre les écueils de la navigation. Agacé par cette pratique quâil jugeait ridicule, Louis lâavait interdite dans son embarcation. Il lui répugnait de voir de vigoureux adultes ânonner leurs prières de façon incantatoire, tout le long de la traversée, comme de vieilles bonnes femmes superstitieuses. Il nâen demeurait pas moins que même les Indiens christianisés sây adonnaient, habilement endoctrinés en cela par les pères jésuites.
Louis haussa les épaules et se remit à dicter.
â Après tous les placets de personnes qui mâont prié de les recommander et que je vous ai mandés dans ma dernière lettre, je me permettrais, monseigneur, de vous en adresser un qui regarde, cette fois, mes intérêts particuliers, comme le paiement dâun secrétaire, dâun aumônier, et dâun chirurgien, car il nây a point de gouverneur de province dont le secrétaire et lâaumônier ne soient payés, et qui, ayant un état-major à leur compagnie des gardes, nây ait aussi un chirurgien compris. Monsieur lâintendant a son secrétaire payé, qui nâa assurément pas autant dâaffaires que le mien, et son aumônier, qui est celui quâon a donné au conseil; quand il nây aurait que la considération de la garnison du château de Québec qui se trouve la seule qui soit sans aumônier, je croirais quâon voudrait bien faire une dépense de trois cents livres, qui suffirait pour cela.
Il sâinterrompit quelques secondes, par égard pour son secrétaire, puis reprit aussitôt ses doléances.
â ... Aussi, monseigneur, jâespère que vous ne trouverez pas mauvais que je vous supplie dây faire quelque attention et de considérer que les appointements que le roi me donne sont si médiocres et si exposés, toutes les années, à tant de risques et dâavaries, par le danger que courent les vaisseaux qui nous apportent les provisions que nous sommes obligés de faire venir de France, que quelque ménage que jâapporte et quelque règle que je mâimpose, il mâest très difficile de pouvoir subsister, à moins que vous nâayez la bonté de me faire payer toutes les années mes appointements par avance et dès le mois dâavril et de mai, avant le départ des vaisseaux. Quant à lâintelligence que Sa Majesté me
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