Frontenac_T1
les oreilles et le cÅur dâOnontio et de tous les Français ».
Frontenac improvisa à son tour un discours dans lequel il mit toute la chaleur dont il était capable.
â Je souhaite la bienvenue à tous mes enfants venus des lointains pays des lacs : à toi, lâOutaouais, à toi, le Huron, à toi, le Nipissingue, et à vous tous, des tribus amies; vous avez nagé dans le canot de longues semaines; vous avez traversé pour moitié ce pays sur une route parsemée dâennemis prêts à fondre sur vous; vous avez bravé la faim, la soif, la fatigue, la mort même, sans jamais dévier de votre route ni lâcher la pagaie, et tout cela pour répondre à lâinvitation de votre Père. Le plaisir est grand pour moi de vous recevoir aujourdâhui en ce pays, et mon cÅur sâémeut à lâidée de pouvoir former à nouveau avec vous une seule cabane, une seule et même grande famille. Je pleure avec vous tous vos morts de ces dernières années comme vous avez pleuré les miens, et je vous ouvre tout grand les bras comme un bon Père, en vous assurant quâaucun cheveu ne sera touché de votre tête tant que vous serez sous ma protection. Nous serons bientôt en conseil afin de resserrer lâalliance que vos pères et les nôtres ont nouée, il y a bien des lunes, et pour replanter lâarbre de paix. Recevez ces wampums en présent â et Louis donna lâordre de remettre aux ambassadeurs quelques beaux colliers â pour ouvrir le chemin jusquâau feu central afin que nous ne formions à nouveau quâun seul esprit et quâun seul cÅur.
Il se fit ensuite remettre une pipe de terre rouge dont la longue tige était décorée de plumes dâoiseau. Avant de la porter à sa bouche, il dit simplement :
â Puisse ce calumet nous donner de lâesprit, nous inspirer par sa chaleur et faire descendre la paix dans nos cÅurs.
Il en tira une bonne bouffée, le remit au premier sachem outaouais, qui en fit autant, et le calumet circula solennellement de tribu en tribu, sous les cris dâacclamation des Indiens. Puis on distribua du tabac, des prunes et un peu dâeau-de-vie, pour dérider sans saouler et éviter les abus dont la population risquait de faire les frais. La vente dâalcool aux Indiens était interdite sous peine dâamende et de confiscation, et seul le gouverneur jouissait de la prérogative de leur en offrir. Après ces échanges diplomatiques ritualisés, Louis déclara la foire des fourrures officiellement ouverte. On débarra aussitôt les portes de la ville et une populace bruyante et bigarrée envahit en trombe le terrain de la commune. Quantité de marchands, traiteurs et commerçants entreprirent aussitôt dâinstaller leur boutique temporaire et de faire transporter leurs marchandises. La cohue sâintensifia et le bruit des marteaux se mit à résonner de façon lancinante. Quand le silence se fit enfin, peu avant la tombée du jour, la grève était couverte de points de vente et de petits étals poussés çà et là comme des champignons. Tout était en place pour permettre au commerce des fourrures de battre son plein pendant les quelques jours suivants.
* * *
Le grand conseil se tint dans les jardins de Callières par une chaude matinée dâaoût. Il faisait terriblement humide et lâabsence de vent rendait lâair pesant. De la paille fraîche était étalée sur le sol et des parasols de branches de sapin tressées étaient dressés pour parer les ardeurs du soleil. Les Indiens, assis à même le sol sur des nattes de jonc, écoutaient les orateurs avec grande attention. Ils sâalignaient de part et dâautre dâun podium sur lequel siégeait Frontenac, en costume de damas broché, piqué de dentelles, de rubans et de boutons dâargent. Sa perruque lui donnait tellement chaud quâune abondante sueur perlait sur son front et se frayait un chemin à travers lâépaisse couche de poudre qui lui recouvrait le visage.
Les officiers et autres dignitaires français, lâintendant Champigny, Callières, Oureouaré, Monseignat, quelques dames aussi, dont madame de Champigny, prenaient place sur des chaises à bras, derrière celle du gouverneur. Lâépouse de lâintendant
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