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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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rives du Saint-Laurent et projetant leur tronc puissant au-dessus des berges marécageuses. Des grues et des hérons clapotant dans la vase s’élevaient silencieusement sur leur passage pour se perdre aussitôt dans le ciel lumineux de juillet. Le soleil, encore bas, irisait les eaux de taches argentées et une fraîche odeur de marée basse emplissait l’air.
    Louis jeta un regard moqueur sur le canot arrière. L’intendant Champigny y avait pris place avec son secrétaire et quelques hommes de sa garde, en refusant obstinément de partager celui du gouverneur. Les Hurons de Lorette le manœuvraient avec dextérité et les talonnaient de près. Malgré ses hauts cris, ses menaces et ses récriminations, Louis n’avait trouvé aucune embarcation propre à les mener en sécurité jusqu’à Montréal, et il avait dû se rabattre en désespoir de cause sur les canots d’écorce des Indiens christianisés. Non pas qu’ils fussent impropres à voyager sur l’eau, car le canot était au contraire le plus rapide et le plus malléable des moyens de transport de la colonie, mais Louis ne s’y était jamais senti en sécurité. Trop léger et instable à son goût, trop rapide à verser, disait-il, même si cela ne lui était jamais arrivé pendant toutes ces années où il avait sillonné le pays d’un bout à l’autre.
    C’était la grande migration annuelle du gouvernement. Du début de l’été jusqu’à l’automne, le gouverneur et l’intendant, suivis de dizaines d’officiers, de serviteurs et de militaires, se déplaçaient de Québec, capitale administrative, vers l’autre pôle d’attraction que constituait Montréal, capitale de la fourrure. Vers la fin du mois de septembre, l’odyssée reprenait en sens inverse. Sauf que cette fois, elle avait été décalée de plusieurs semaines sur le calendrier habituel, car Louis, mû par une espèce de pressentiment, avait préféré rester plus longtemps dans la capitale pour surveiller de près la mise en marche des fortifications de François Provost. L’idée d’une éventuelle attaque anglaise sur Québec commençait à l’inquiéter sérieusement.
    Le long convoi d’une trentaine de canots, distants les uns des autres de plusieurs brasses, s’étirait sur plus d’une demi-lieue. Louis se sentait de belle humeur et pleinement revigoré. Les trop grandes chaleurs des derniers jours, qui le plongeaient invariablement dans un abattement délétère ponctué de déchirantes douleurs rhumatismales, avaient cédé place à un temps frais et propice au voyage.
    Il respirait à pleins poumons l’air gorgé d’humidité. Pour se délasser, il étira les jambes et se cala plus confortablement dans son siège. Il bénit son majordome qui avait eu l’ingéniosité de faire fixer aux varangues un vieux fauteuil aux pattes coupées ras, ce qui diminuait l’inconfort du voyage et lui permettait de supporter les longues heures sans escale. Quelques couvertures qu’il repoussait pour l’instant à ses pieds serviraient à le garantir des éclaboussures et des imprévisibles coups de vent, toujours fréquents sur le fleuve à cette époque de l’année.
    Deux Indiens ramaient vigoureusement à l’avant du canot et trois derrière. Impassibles et silencieux, les yeux fixés sur l’horizon, ils pagayaient de conserve. À chaque coup d’aviron, l’embarcation faisait un bond devant et fendait brièvement l’eau, qui giclait sur les côtés en gerbes de fines éclaboussures. Mais la force du courant repoussait aussitôt le frêle esquif qu’il fallait à nouveau propulser dans un combat incessant contre le courant. Ce n’était qu’à ce prix que l’on gagnait insensiblement du terrain sur la puissante rivière qui précipitait sa formidable masse d’eau vers le golfe et la mer.
    Louis reprit sa dictée. Charles de Monseignat, assis sur le banc arrière et penché sur un petit écritoire posé sur ses genoux, jetait rapidement sur papier les phrases que le gouverneur enchaînait au fil de l’inspiration. Sa missive, la troisième depuis leur départ, était adressée cette

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