Frontenac_T1
pour que lâon puisse continuer la guerre et quâil va falloir en envoyer de nouvelles. Jâappréhende même de vous dire quâil serait nécessaire que le nombre en fût... important... non... écrivez plutôt... considérable..., parce que je sais que le roi en a tant besoin ailleurs, que ce ne sera pas facile dâen envoyer en des lieux aussi éloignés quâest celui-ci, mais...
Il suspendit sa phrase. Il cherchait la formule heureuse qui aurait pu dessiller les yeux et faire desserrer les bourses. Mais il était sans illusion. Il savait pertinemment quâil avait peu de chances dâêtre entendu, puisque la France était encore enlisée jusquâau cou dans une guerre qui ne semblait pas sur le point de finir. Il sâentêta pourtant.
â ... mais cependant, je ne vous déguiserai jamais la vérité et vous répéterai quâun envoi de mille hommes compléterait nos vingt-huit compagnies et me permettrait de remplacer les sept autres, réformées lâannée dernière. Un apport qui me paraît nécessaire pour conserver un pays dâune aussi vaste étendue et menacé de tant de côtés. Monsieur de Denonville se plaignait quâil nâavait pas assez dâhommes, quoiquâil nâeût point les Anglais sur les bras et quâil nâeût affaire quâaux Iroquois. Jugez donc, sâil vous plaît, dans quel embarras je me trouve, risquant dâêtre attaqué par les uns et les autres du côté de la terre, et Peut-être aussi, comme je commence à le craindre, du côté de la mer.
Louis fixa lâhorizon. Les canots croisaient maintenant entre des berges de schiste noir étonnamment élevées et abruptes qui encaissaient le fleuve. Les rives étaient couvertes de galets plats usés par lâeau que surplombaient des bosquets dâaulnes et de thuyas, indistinctement mêlés. Le pays, en cet endroit, paraissait désert. Quelques rares villages échelonnés de distance en distance le long de la côte y prospéraient pourtant. La pointe solitaire dâun clocher dominant un village ainsi que des pièges à anguilles installés sur le rivage témoignaient de la présence humaine.
«Un pays dâune telle immensité et si peu peuplé. Que des habitations séparées et avoisinées de bois infinis, que de petits hameaux trop éloignés les uns des autres pour quâon puisse organiser une défense efficace », se dit-il, en fronçant les sourcils. Son visage sâassombrit. Il craignait une violente riposte de la part des Anglais, durement secoués par ses incursions frontalières. Des rumeurs de branle-bas militaire chez ses voisins du Sud couraient dâailleurs dans la colonie et ne laissaient pas de lâinquiéter, bien quâil feignît officiellement de nây pas prêter foi.
â Et que nous mijotent encore ces damnés Iroquois? mâchonna-t-il entre ses dents.
Monseignat tourna le regard vers Louis, qui lui fit un signe de tête pour lui indiquer que ces paroles ne lui étaient pas adressées. Car étrangement, selon les dernières nouvelles de Callières, à part quelques escarmouches isolées, les Iroquois nâétaient pas réapparus dans les côtes ce printemps-ci. Pas de traces dâeux nulle part, alors que le retour du beau temps aurait dû les rabattre sur la colonie comme une nuée dâoiseaux rapaces. Et il nâavait encore aucune nouvelle de la délégation du chevalier dâO. Tout cela nâaugurait rien de bon...
Le ciel sâobscurcissait et le soleil disparut sous une longue traînée de cumulus, soudés les uns aux autres dans un ordre décroissant. Le vent parut soudainement plus froid et plus cinglant. Louis frissonna et remonta ses couvertures. Les rameurs, le torse et les épaules nus, continuaient leurs efforts cadencés.
â Pour ce qui est de lâétat des fortifications de Québec, dont je vous ai envoyé le plan par le dernier bateau, avec ordre au capitaine de le jeter à la mer lesté de plomb si lâennemi venait à paraître, continua-t-il, je tiens à vous répéter que jâai fait construire une palissade par le major Provost, en lâabsence de monsieur de Villeneuve, retourné momentanément en France â et qui, soit dit en passant,
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