Frontenac_T1
recommande dâavoir avec monsieur lâintendant, croyez bien que même si le bien du service au roi, le repos des habitants et lâavantage de la colonie ne le demandaient pas, lâinclination naturelle que jâai pour lui mây engagerait. Il nây a rien que je ne fasse pour vivre avec lui dans lâunion, agissant toujours de concert et ne faisant rien que je ne lui communique et dont il demeure dâaccord. Je garde la même conduite avec monseigneur lâévêque et jâapporterai toujours mes soins pour quâil nâait jamais à se plaindre de moi. Câest pourquoi je vous supplie dâêtre entièrement convaincu aussi bien du profond respect et de la parfaite reconnaissance... et bla... bla... bla... Votre très humble... et cetera ... Signé Frontenac.
Louis se redressa et massa fortement son bras infirme, tout en portant le regard sur le canot de devant. La silhouette tassée de Jean Bochart de Champigny sây détachait distinctement, le corps penché au-dessus de lâeau dans la contemplation de quelque chose que lui montrait du doigt un de ses archers.
Frontenac venait encore une fois de mentir au ministre à propos de son entente avec lâintendant. Il repensa aux termes quâil avait utilisés, à cette « inclination naturelle » quâil prétendait avoir pour lui et se retint de rire. Le trait était trop appuyé pour faire illusion, mais il était dans son intérêt de maintenir une fiction que Champigny se faisait certainement un plaisir dâinvalider dans chacune de ses lettres. Il ne le savait que trop. Et il était encore plus faux de prétendre quâil ne faisait rien sans lâaccord de lâintendant. Le matin même, il sâétait encore emporté contre lui sur la question des congés de traite que Champigny prétendait contresigner et dont il voulait contrôler lâoctroi.
Comme le convoi approchait de Cap-Santé, une petite agglomération située sur la rive nord du fleuve, Louis donna lâordre dây aborder. Il fallait permettre aux hommes de prendre un peu de repos et se restaurer.
Depuis Petite-Rivière, le paysage avait changé. Les berges étaient toujours aussi élevées et escarpées, mais le schiste noir avait graduellement fait place à des sédiments secs, disposés en couches successives. Un éclatant tapis de fleurs aux pastels rose et mauve courait néanmoins le long des rives dâoù jaillissaient de nombreuses sources aux eaux ocre. Louis poussa ses rameurs à augmenter leur cadence. Le gouverneur jouissait de la prérogative dâêtre le premier à mettre pied à terre et il nâétait pas question de laisser Champigny, dont le canot filait impudemment devant eux, lui damer le pion. Il donna cependant des ordres stricts pour que lâarrêt soit bref. Trois-Rivières se trouvant encore loin, ils nây aborderaient que tard le lendemain, si tout se passait bien, en dépit du mauvais temps qui pointait. Quant à Montréal, le but ultime de cette équipée, elle nâétait encore quâà cinq jours de là , en mettant les choses au mieux.
13
Montréal, été 1690
Toute la ville était en liesse et pavoisait.
Au soulagement général, la panique des dernières heures se mua en joie. Lâannonce dâune imposante flotte de canots sur le lac Saint-Louis avait dâabord semé lâalarme et la consternation parmi la population. Quand La Chassaigne avait tiré du canon pour alerter les Montréalistes, des cris dâépouvante avaient fusé de partout : «Les Iroquois, les Iroquois! » Les gens sâétaient passé le mot en catastrophe en se ruant aux armes, dans un assourdissant tintamarre de coups de canon et de roulements de tambour. Tous les clochers de la ville et des environs avaient pris le branle presque au même moment et à des milles à la ronde.
Louis, sur le pied de guerre, avait réuni en hâte ses officiers et procédé au partage des tâches. Cette fois, il pouvait sâappuyer sur un plus grand nombre de combattants et sur de bons commandants de poste, encore que tout dépendît du nombre dâassaillants. Mais lorsque le sieur de Tilly vint lâinformer, un peu plus tard, quâil ne sâagissait pas dâune flotte iroquoise mais plutôt
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