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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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remémorait les derniers mots de Jacques. Une nuit où ses forces semblaient l’abandonner, son frère avait réussi à articuler, si faiblement qu’il avait dû coller son oreille à sa bouche : «Pour... moi, c’est... la fin... Je... ne re... grette rien... Soutiens... Pierre... et le clan, ... et Paul... et ses... rêves... »
    Il n’avait pas pu saisir le reste. Il avait eu beau le secouer, le supplier, Sainte-Hélène était demeuré silencieux, le regard déjà absent. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir reçu de bons soins, puisque le chirurgien de l’hôpital s’était dévoué sans relâche à son chevet : il l’avait d’abord purgé et saigné, puis, après avoir extrait la balle, avait appliqué sur la plaie des plumasseaux, l’avait bourrée de bourdonnets pour absorber le pus et bassinée aux deux heures avec de l’eau-de-vie camphrée et de la crème de tartre. Voyant que cela ne produisait pas l’effet escompté, il lui avait préparé un autre remède composé d’esprit de térébenthine et de laudanum, ce qui l’avait calmé pendant quelque temps.
    Mais la nuit suivante avait été désastreuse, Sainte-Hélène s’étant mis à délirer sous l’effet d’une fièvre intense et maligne. Le surlendemain, sa jambe était tellement infectée qu’elle donnait des signes de gangrène, ce qui avait arraché au médecin une grimace de découragement. Il se demanderait longtemps, d’ailleurs, s’il n’avait pas commis une erreur en ne l’amputant pas dès son entrée à l’hôpital, la blessure étant si profonde et les dégâts si étendus – le fémur avait éclaté sous l’impact – que cela aurait peut-être été la voie la plus sage. Mais c’était aussi risqué d’amputer que de traiter, et la guérison était toujours une loterie dans ce genre de traumatisme...
    â€” S’en sortira-t-il? lui avait demandé Charles, cette nuit-là, d’une voix tourmentée.
    Le praticien n’avait pas répondu et s’était contenté d’avancer une moue embarrassée. Il avait pourtant fini par répliquer :
    â€” Je ne vois plus qu’une dernière possibilité : le saigner à la tempe. Cela provoque parfois des guérisons spectaculaires. Autrement...
    Il avait laissé sa phrase volontairement en suspens, pour faire comprendre à Longueuil qu’il avait abattu toutes ses cartes.
    Pendant que Charles sanglotait toujours, tourné vers la fenêtre et le visage enfoui dans les mains, Paul de Maricourt avait passé le bras autour des épaules de sa mère et avait commencé à la bercer dans un lent mouvement cadencé, tête contre tête, ses cheveux épais et sombres emmêlés aux boucles grises et clairsemées. Sous le masque rassurant et apparemment impassible – il n’avait pas desserré les mâchoires ni versé une larme – se cachait une âme dévastée. Car très tôt, Sainte-Hélène l’avait pris en charge, comme l’aîné, Pierre Le Moyne d’Iberville, l’avait fait avec ses deux frères les plus proches, pour soulager une mère qui, à cette époque, était tellement féconde qu’elle mettait un nouveau garçon au monde chaque année. Dès que Maricourt avait pu marcher de longues heures sans se plaindre et tenir correctement un fusil, il avait suivi Sainte-Hélène en forêt et appris de lui les métiers de canotier, trappeur, coureur des bois, traiteur et truchement. Il parlait aussi bien les langues indiennes que son frère, et était aussi fin tireur que lui.
    Mais si Maricourt avait abondamment vu mourir et avait lui-même donné la mort durant toutes ces années, il n’avait encore jamais assisté à l’agonie d’un proche : la fièvre et le délire, les humeurs nauséabondes, le pourrissement sur place, une souffrance vive et injustifiable et, pour finir, cette implacable dérive comateuse dans laquelle le mourant s’enfonçait sans retour... Mais il fallait donner à Sainte-Hélène le mérite d’avoir gardé un parfait contrôle sur cet amas de chairs souffrantes aussi longtemps qu’il était demeuré

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