Frontenac_T1
chefs et à tous vos compagnons. Et dites à Carré et à sa troupe dâemporter chez eux deux des canons abandonnés par les Anglais. Ils serviront de monument à leur bravoure.
Une étincelle de fierté sâalluma dans ses yeux sombres, pendant quâun franc sourire sâépanouissait sur ses lèvres.
â Merci, monseigneur, balbutia Hertel en détournant le regard.
Pour faire diversion et masquer son embarras, il enchaîna une longue tirade où les mots se bousculaient à la sortie.
â On ne sait pas encore dâoù viendra la prochaine attaque, mais pour lâheure, toute la flotte sâest retirée au bout de lâîle dâOrléans. Les charpentiers sâactivent au large et on entend les marteaux qui résonnent depuis le matin. Le vaisseau amiral est en piteux état et on sâaffaire pour lâempêcher de couler. Le général Phips a même dû mettre des tuteurs à son grand mât. Il paraît quâil a pensé perdre son bateau, la nuit dernière, tant le fleuve les a secoués. Certains disent lâavoir vu près des côtes de Lévy, tout retourné sur le côté et flanqué de deux bâtiments en aussi mauvaise posture. Il aura de la peine à regagner Boston et, sâil en vient à bout, il arrivera avec un câble, une ancre, cinq canons et son grand pavillon en moins.
Le jeune Hertel était surexcité, ce que Louis mit sur le compte de la fatigue.
â Vous devez être épuisé. Vous avez été combien de jours sans relève?
â Cinq, monseigneur. Je suis sous le commandement du major La Hontan. On sâest battus pendant presque douze heures, hier. Comme lâavant-veille.
â Et comment cela a-t-il été?
â Très dur, mon général. Jamais je nâavais vu un pareil feu. Chaque fois que je me relevais pour courir, jâétais accueilli par de la mitraille. Jâai pensé y rester. Mais on nâa jamais lâché. De ça, vous pouvez être sûr.
Louis hocha la tête en signe dâapprobation.
â Oui, je sais de quoi vous parlez. Jâai connu bien des sièges, mais celui-ci a quelque chose de particulièrement... intense. De... désespéré, dirais-je.
Le regard quâHertel posa sur son gouverneur témoignait dâune immense admiration. Il avait hâte de raconter cela à sa famille.
Louis, de son côté, le trouvait rafraîchissant.
â Quel âge avez-vous?
â Seize ans, mon général.
Il fut surpris, il lâaurait cru plus âgé. Il avait été trompé par la barbe forte et lâallure décidée.
â Et dâoù êtes-vous?
â De la côte de Beaupré. Je me suis pointé chez les miliciens avec mon père, François Hertel, malgré lâopposition de ma mère qui me trouvait trop jeune pour combattre.
â Eh bien, courez la rassurer, et dites à votre valeureux père quâil y a lieu dâêtre fier de vous! Mon intuition me dit que les Anglais ne sây frotteront pas de sitôt... Le fleuve peut geler dâune nuit à lâautre dans cette terrible saison, ce que Phips sait aussi bien que moi. Croisons-nous les doigts pour que le froid persiste. Sinon, nous nous battrons comme nous lâavons fait ci-devant.
Et il renvoya le jeune milicien à son camp.
* * *
â Mais comment osent-ils nous réclamer une enfant si jeune et si bien adaptée à nos mÅurs? Elle nâa que huit ans, monsieur, et elle est déjà assez instruite de notre sainte religion pour faire sa première communion. Elle se plaît parmi nous. Ce serait cruel de la déraciner à nouveau, ne trouvez-vous pas?
Le touchant plaidoyer adressé par mère de Saint-Ignace au capitaine des gardes de Frontenac fit chou blanc. La Vallières, qui avait pour ordre de négocier lâéchange de prisonniers, devait rendre la petite Sarah Guerish. Câétait la condition exigée par William Phips pour relâcher le père Trouvé, un prêtre acadien capturé quelque temps auparavant à Port-Royal. Cette jeune Anglaise avait été faite prisonnière lors de lâexpédition lancée par Frontenac contre Salmon Falls, en Nouvelle-Angleterre. Le seul survivant de la famille Guerish â son frère, qui agissait à titre dâofficier sur le vaisseau amiral
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