Frontenac_T1
â réclamait lâenfant à cor et à cri.
â Je ne peux pas vous la laisser, madame, le gouverneur mâa ordonné de la remettre. Câest une jeune Anglaise de condition et ses parents étaient des amis personnels de sire Guillaume Phips.
Mère de Saint-Ignace baissa les yeux, attristée. Elle sâétait attachée à cette enfant que madame de Champigny avait rachetée aux Iroquois et donnée à lâHôtel-Dieu. Malgré son jeune âge, elle avait beaucoup dâesprit et le plus aimable naturel. Un petit air noble et des manières si engageantes que toutes les religieuses de la maison lâaimaient tendrement. Sarah affectionnait particulièrement celle quâelle regardait comme sa maîtresse et lui confiait ses pensées avec une charmante naïveté. Quand mère de Saint-Ignace sâétait étonnée de voir une fille aussi raisonnable quâelle pâlir et trembler à la vue dâun pauvre sauvage alité, Sarah lui avait rétorqué, les yeux pleins de larmes : « Si vous aviez vu tuer votre père et votre mère par ces gens-là , comme je les ai vus tuer les miens, vous les craindriez autant que moi! »
Quand Sarah Guerish sâavança devant La Vallières, elle lui fit une révérence et se mit à supplier, dâune toute petite voix :
â Monsieur, par pitié, laissez-moi avec mère de Saint-Ignace. Je ne veux pas retourner dans ma famille. Il nâen reste que mon frère aîné, que je ne connais pas. Câest ici quâest ma vie, désormais.
Lâenfant parlait un français sans accent. Elle pressait ses petites mains comme si elle implorait le Seigneur. Le capitaine fit une grimace de dépit et souleva les épaules en signe dâimpuissance. Câest que la mignonnette avait des yeux si touchants! Il détourna le regard vers lâhospitalière et trancha, dâun ton sans appel :
â Préparez son baluchon et conduisez-la dans une heure au quai. Une barque prendra les prisonniers libérés pour les conduire à bord.
La Vallières avait dâautres chats à fouetter. Il courait depuis le matin de la prison militaire au château, de lâHôtel-Dieu à chez monsieur Le Ber, de chez lâintendant au délégué anglais pour arrêter une entente qui conviendrait aux parties. La veille, les négociations avaient failli achopper sur la libération du prêtre, que les Anglais refusaient de relâcher. Ils demandaient deux hommes pour sa remise en liberté, mais on avait fini pas sâentendre sur la jeune Guerish. Les autres prisonniers étaient agréés. On remettrait aux Bostonnais le capitaine Sylvanus Davis, fait prisonnier par Courtemanche à Fort Loyal, Louise et Mary, filles de son second, Thaddeus Clark, Sarah Guerish, les sept enfants de Clément Short, amenés à Québec après la mort de leur père à Schenectady, ainsi que trois autres Anglais pris à la baie dâHudson par Pierre Le Moyne dâIberville.
Du côté français, on récupérait le découvreur du Mississippi, Louis Jolliet, sa femme, Claire-Françoise Bissot, et sa belle-mère, Marie Couillard, tous trois capturés au moment où ils surveillaient lâavancée de la flotte anglaise. Phips leur remettait également le père Trouvé, trois Acadiens pris au même moment, ainsi que sept autres soldats.
à la brunante, on vit partir en direction du vaisseau amiral une barque pontée chargée de prisonniers anglais, cependant quâune carriole bringuebalante montait en sens inverse la côte menant au château Saint-Louis. Elle était remplie de Français de retour de Boston ou dâailleurs, loquaces et fort en joie.
Le matin du 24 octobre, par une journée glaciale et venteuse, le bruit courut que les Anglais quittaient enfin les parages. Leur flotte avait levé lâancre, sâétait laissée dériver avec la marée, puis avait mis les voiles en direction du large.
* * *
La petite chambre de lâHôtel-Dieu était située à lâextrémité de la salle des hommes et se trouvait bondée de lits occupés par des officiers blessés, tombés pendant les combats de la Canardière. On avait dû y monter en vitesse deux nouvelles paillasses quâon avait glissées au centre dâune pièce
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