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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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lequel elle lui serait un jour posée. Le silence qui s’ensuivit parut s’éterniser. Duchouquet activa un peu plus vite son rasoir sur les poils de menton du chevalier, qui retenait son souffle. Un long moment s’écoula avant que Louis ne trouve le ton et les mots justes.
    â€” J’ai été... habité... durant des semaines par la peur de voir mes... appréhensions se réaliser. Savez-vous que j’ai failli vous retenir et vous dire de laisser tomber, que cela pouvait être dangereux, surtout que vous étiez la dernière personne au monde que j’aurais voulu voir dans une aussi... terrible... situation. Le baron de La Hontan, que j’avais d’abord pressenti pour cette mission parce qu’il avait plus d’expérience des Indiens que vous, l’avait refusée aussitôt, sous prétexte que c’était trop aléatoire. Je regrette amèrement ce qui s’est passé pour... vous, que je considère un peu comme mon... fils, et pour... Colin... La Beausière, Bouat... La Chauvignerie. J’ai mal évalué l’inconstance iroquoise, leur côté imprévisible, et j’en porte le remords. J’ai cru, à tort, leur inspirer assez de respect et de peur pour les forcer à négocier, comme j’ai pensé que le fait d’épargner les Iroquois surpris à Schenectady allait leur donner un message clair de ma neutralité à leur égard. C’était prématuré et... vous en avez été les malheureuses victimes.
    Louis baissa la tête, l’air profondément malheureux.
    â€” Mais comment cela a-t-il été pour... Je veux dire... Colin... a-t-il...
    â€” Souffert? Au-delà de tout ce que l’on peut imaginer. Les Illinois mis à mort avant eux ont gardé leur sang-froid jusqu’à la fin, contrairement à nos hommes... qui ont rapidement perdu pied. La Beausière surtout. Les tourments infligés dépassent l’entendement. Nous ne sommes pas préparés à ce genre de souffrances qu’il faut une vie d’entraînement, je suppose, pour apprendre à dominer. Cela a été pour moi une cruelle initiation et je me suis demandé longtemps si on n’aurait pas dû aussi me mettre à l’échafaud.
    â€” Allons, allons, vous ne pouvez pas regretter de ne pas avoir été torturé ni d’être toujours en vie! Peu de gens ont assez de ressources pour résister à de pareils traitements. Certains de nos hommes y sont quand même parvenus, quelques femmes aussi, étrangement... mais ce sont des exceptions. Et cessez de vous mettre martel en tête. Vous avez obéi à un ordre, comme l’excellent officier que vous êtes, et vous n’avez pas à porter le poids d’une décision que vous n’avez pas prise. C’est à moi d’en assumer la responsabilité.
    Louis repensa aux deux Iroquois dont il avait été forcé d’ordonner la mise à mort sur le Cap-aux-Diamants, quelques semaines avant cette conversation. Bien que la torture le répugnât profondément et lui semblât le fait de sociétés peu civilisées, il l’avait autorisée. Pour servir d’exemple et inspirer de la crainte à l’ennemi. Les deux hommes avaient été brûlés à petit feu par les sauvages alliés et mangés à la manière traditionnelle. Louis n’avait voulu assister ni à la torture ni au banquet qui avait suivi, alors qu’un Pierre d’Iberville l’eût probablement fait sans sourciller...
    Pour secouer le malaise qui commençait à l’envahir et parce qu’il n’avait jamais été particulièrement porté sur les mea culpa ou les attendrissements de femelle, Louis s’en sortit avec une pirouette :
    â€” Que vous voilà rajeuni, mon cher ami! s’exclama-t-il devant un chevalier frais rasé et bien coiffé, émergeant de sa baignoire tel un Neptune triomphant jailli de la mer.
    Bien astiqué, le visage net et lisse, la tignasse ramassée dans une bourse à cheveux, d’O reprenait allure de civilisé et s’avérait toujours bel homme. Louis fit signe à Duchouquet, qui scrutait sa penderie, de lui bailler sa redingote de satin pourpre et les hauts-de-chausse assortis.
    â€” J’espère que vous nous honorerez de votre présence, ce soir, monsieur d’O.

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