Frontenac_T1
les dires mâont été confirmés par le baron de Saint-Castin. De grands préparatifs ont lieu à Boston depuis quelques mois. Nos charmants voisins sont en train de monter une expédition punitive contre le Canada, qui regrouperait quelque dix mille hommes, Anglais et Iroquois confondus, dont la moitié attaquerait Montréal, et lâautre, Québec. Le gouverneur de la Nouvelle-York, Benjamin Fletcher, se serait même rendu jusquâau Conseil privé de Londres pour obtenir de lâaide. à la suite de quoi le roi dâAngleterre a donné lâordre à ses colonies dâAmérique de sâunir, pour une fois, et de fournir des hommes et des munitions.
â Ce maudit Fletcher... marmonna Louis, jamais en retard dâun coup bas et toujours en quête dâun moyen de nous bouter hors de ce pays. Si par malheur il réussit à convaincre les autres colonies du Nord de se joindre à la Nouvelle-York, ainsi quâaux Cinq Nations, nous sommes perdus. Mais, dâun autre côté, monter une pareille coalition ne doit pas être chose si facile, sinon il y serait parvenu depuis belle lurette...
Louis réfléchissait tout haut, selon son habitude.
â Vous avez raison sur ce point, reprit le chevalier, car jâai entendu dire que la situation devenait difficile pour la Nouvelle-York. Ils commencent à manquer de tout et leur commerce des fourrures périclite. Il nây aurait dâailleurs jamais eu beaucoup dâentraide entre des colonies qui se jalousent et se combattent mutuellement depuis toujours. Câest au point que dâaucuns auraient suggéré à Fletcher de pousser les Iroquois à ravager la Pennsylvanie et le Maryland, comme ils lâont déjà fait à quelques reprises, pour ramener ces Ãtats récalcitrants à de meilleurs sentiments.
â Fasse le ciel quâils nâarrivent jamais à sâentendre, ventredieu! Tout cela nous démontre quâil est grand temps de mieux fortifier nos villes et en particulier Québec et Montréal, qui sont encore beaucoup trop exposées aux insultes de lâennemi. Je vais encore une fois écrire au ministre pour réclamer avec plus dâinsistance â Louis fit une grimace éloquente, lâair de dire quâil y croyait de moins en moins â des hommes et des fonds pour mieux protéger le pays dâune menace qui se précise de jour en jour.
â Sans compter que nos alliés abénaquis commencent à baisser la garde.
Ce disant, dâO avait incliné la tête vers lâavant pour que Duchouquet lui rince les cheveux.
â Comment cela? Vous dites que nos alliés abénaquis...
Le chevalier releva la tête et sâépongea le visage. Il avait meilleure mine quâà lâarrivée. Restait à lui faire la barbe et à le coiffer. Duchouquet, qui était aussi maître-barbier, sây ingénia.
â Oui. Jâai appris de Saint-Castin que la situation sâétait envenimée en Acadie, où certaines tribus commerceraient ouvertement avec les autorités du Massachusetts. Il semble que ce serait à cause du sieur de Beaubassin, votre capitaine des gardes, qui, au lieu de distribuer les fusils et les présents que vous avez envoyés aux Abénaquis, les a réquisitionnés pour son profit personnel.
â Que me dites-vous là ! Ce misérable aurait détourné des provisions destinées à ravitailler nos alliés?
Louis faillit sâétouffer dâindignation. Il donna un grand coup de tisonnier dans le mur de pierre de taille. Il aurait volontiers étranglé ce Beaubassin sâil sâétait trouvé à sa portée.
â Comment savoir ce qui se passe si loin, aussi? Je le relèverai de ses fonctions et le remplacerai par quelquâun de moins cupide! Ce scélérat aura des comptes à me rendre!
Le chevalier observa longuement le gouverneur. Le regard toujours rivé sur les flammes, il avait lâair dépité et sa bouche avait pris un pli amer. DâO se risqua pourtant à lui poser la question qui lâobsédait depuis des mois.
â Monseigneur, saviez-vous dans quelle gueule de loup vous nous jetiez en nous expédiant à Onontagué?
Louis tressaillit et releva les yeux sur dâO. Il sâattendait à cette question et avait mille fois imaginé le contexte dans
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