Frontenac_T1
à la torture. Mais écoutez plutôt la suite, rétorqua le conteur qui reprit son récit :
â Notre brave Madelon leur cria : «Vous êtes de misérables lâches. Sortez dâici et courez vous battre comme des hommes! » Après quoi elle arracha son bonnet, sâenfonça un chapeau dâhomme sur la tête, se saisit dâun fusil et, sâadressant à ses deux jeunes frères, leur martela : « Battons-nous jusquâà la mort! Souvenez-vous des paroles de père, qui nous a enseigné que le gentilhomme était né pour répandre son sang au service de Dieu et de son roi! » Tout le monde tira si bien sur lâennemi quâil crut la place trop protégée pour sây risquer plus longtemps et se rabattit sur les malheureux soldats et habitants qui nâavaient pas réussi à se réfugier dans le fort ou à fuir assez vite. Ils furent massacrés jusquâau dernier. Notre héroïne fit aussitôt tirer du canon pour avertir les villages avoisinants, et intima lâordre aux femmes de prendre un fusil et de vendre chèrement leur peau.
DâO parut impressionné. Il savait les femmes de ce pays courageuses, mais un pareil exemple de fermeté et de pugnacité était rare et méritait dâêtre souligné.
â Mais ce nâest pas tout, attendez la suite...
â Câest assez, nâen jetez plus! Et dâailleurs, êtes-vous certain quâil sâagit bien dâune femme? Nâétait-ce pas plutôt un homme déguisé en femme ou une espèce de garçon manqué, plat comme une planche à repasser?
Mareuil ne croyait pas à cette histoire. Dès quâil lâavait entendue, il avait douté de sa véracité.
â Que non, monsieur, que non! La jeune fille nâa que quatorze ans et elle est plutôt mignonne, à ce que lâon dit.
â à quatorze ans, les filles de ce pays sont des femmes faites, fit remarquer Louis. Cette aventure prouve que la bravoure peut aussi se rencontrer chez le sexe faible, figurez-vous. Jâai dâailleurs lâintention de féliciter personnellement cette demoiselle pour son sang-froid et son courage.
â Quant à la suite de cette histoire, elle démontre assez bien que la fille tenait du père, continua La Hontan.
â Ou de la mère, reprit Bourdon. Car il me semble avoir déjà entendu parler dâune mésaventure semblable à propos de la mère Jarret de Verchères. Enfin, je ne saurais en jurer, mais...
â Vous avez raison. La mère a également tenu tête aux sauvages, il y a quelques années. Comme quoi le bon exemple peut toujours servir. Mais poursuivez donc, La Hontan!
Louis trouvait lâaventure édifiante et il lui plaisait de lâentendre raconter à nouveau. Surtout que le jeune baron y rajoutait des détails croustillants qui nâavaient probablement rien à voir avec la réalité, mais qui lâembellissaient.
â La fille donc, puisquâil est question dâelle ici, poussa encore plus loin la témérité. Comme un canot mené par un nommé La Fontaine tentait de rejoindre le fort avec sa famille et quâaucun soldat ne semblait vouloir lui porter secours...
Un tollé interrompit le récit. La Hontan nâen continua pas moins :
â ... Madelon leur ordonna de la couvrir et sortit pour aller à la rencontre de La Fontaine. Elle paria que les Iroquois croiraient à une ruse pour les attirer dans une embuscade et se méfieraient. Elle se rendit donc hardiment à la plage, aida lâhabitant à tirer ses enfants du canot et les poussa devant elle avec tellement de confiance que les sauvages crurent quâils avaient plus à craindre quâeux et ne bougèrent pas. Câest à la nuit tombée, cependant, que la situation se corsa... Le vent sâéleva et la grêle commença à claquer si fort que les Iroquois en profitèrent pour sâapprocher du fort et tenter de se glisser à lâintérieur. Notre spartiate assembla alors sa troupe dâà peine six personnes et leur dit ceci : «Dieu nous a épargnés aujourdâhui, mais il faudra nous garder de lâennemi cette nuit. Je veux que vous sachiez que je nâai pas peur. Je vais assumer la garde de nuit avec nos vieillards, pendant que vous, La Fontaine,
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