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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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passionnante et que les convives paraissaient en redemander, il enchaîna avec fougue :
    â€” Il faut que tu croies, mon cher ami, que comme les Hurons sont élevés dans la fatigue et la misère, les grands seigneurs le sont de même dans le trouble et l’ambition, et ne vivraient pas sans cela. Comme le bonheur se nourrit d’imagination, ils se repaissent de vanité et, dans leur for intérieur, chacun d’eux s’estime autant que le roi. Ne faut-il pas avoir toujours quelque chose à souhaiter pour être heureux? Un homme qui saurait se limiter serait Huron. Or, personne ne veut l’être. La vie serait ennuyeuse si l’esprit ne nous portait à désirer à tout moment quelque chose de plus que ce que nous possédons, et c’est ce qui fait le bonheur d’exister!
    â€” Ha! reste donc dans tes chaînes, puisque tu ne comprends rien! s’exclama Kondiaronk en riant cette fois à belles dents et en prenant son entourage à témoin. Pour moi, si je me faisais Français, je devrais me faire chrétien, un point dont nous avons assez parlé il y a peu, et il faudrait aussi que je me fasse la barbe tous les trois jours, car, apparemment, dès que je serais Français, je deviendrais velu et barbu comme une bête. Cette seule incommodité me paraît rude.
    Sur quoi Kondiaronk fit comme si des poils lui sortaient de partout à la fois, des oreilles, du nez, de la bouche et qu’il n’en venait plus à bout, en poussant de petits cris plaintifs et en faisant de telles grimaces de dégoût que la chose était du plus haut comique. Il se leva ensuite et se planta au milieu de l’assistance en se dandinant de droite et de gauche.
    â€” N’est-il pas plus avantageux de n’avoir jamais de barbe ni de poils au corps? As-tu jamais vu de sauvage qui en ait eu? Pourrais-je aussi m’accoutumer à passer deux heures à m’habiller, à m’accommoder, à mettre un habit bleu, des bas rouges, un chapeau noir, un plumet blanc, des rubans verts et une perruque? Je me regarderais moi-même comme un fou. Et comment pourrais-je chanter dans les rues, danser devant les miroirs, jeter ma perruque tantôt devant, tantôt derrière?
    Ce disant, et dans un geste de dérision, l’orateur saisit la perruque d’un Français assis non loin de lui et se l’enfonça prestement sur le crâne. Puis il se l’enleva comme une calotte en s’inclinant bien bas devant un seigneur imaginaire, puis l’enfila de nouveau, pour se l’enlever plusieurs fois d’affilée en se penchant si bas qu’il balayait le sol, en bégayant dans un français à peine intelligible : « Moseigneur, escuse-moé, je vousipri... escuse-moé... je vousipri. »
    La pantomime était si cocasse que toute l’assistance s’étrangla de rire. Devant le succès de ses pitreries, le vieux lascar enchaîna tout de suite une succession de pas de menuet en faisant des ronds de jambe avec ses mocassins à grelots, la perruque tombée sur l’oreille gauche et le panache de griffes d’ours pendant de façon ridicule sur la droite, tout en étalant le bas de sa robe de peaux comme s’il s’agissait de larges jupes.
    Pour s’amuser et ne pas demeurer en reste devant un Kondiaronk déchaîné, Frontenac se leva à son tour et vint prendre la main du plaisantin, qu’il fit pivoter sur lui-même à plusieurs reprises comme s’il s’agissait d’une partenaire en vertugadin * .
    Le ballet désopilant et burlesque se poursuivit encore pendant quelque temps, au grand plaisir d’une assistance qui battait des mains, riait et gesticulait avec tellement de frénésie qu’il devint bientôt impossible d’y poursuivre le moindre palabre. Une agitation bon enfant s’était emparée des gens sous l’effet du rire, de l’excès de table et d’alcool, et du franc coude à coude qui régnait dans l’assistance. L’étrange et insolite bouffonnerie se continua, les uns dansant, les autres chantant ou mimant tantôt des airs sauvages, tantôt des airs de France, qui s’entremêlaient dans une totale cacophonie.
    * * *
    Cette fois, la mesure était comble. Cent fois Louis s’était entendu raconter ces histoires à dormir debout et cent fois il avait feint de

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