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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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je trouve de bonheur et de sagesse parmi vous. Il y a bien dix ans que je ne sais que penser à votre sujet. Je ne vois rien dans vos actions qui ne soit autrement qu’indigne d’un homme, et il en sera ainsi tant que vous ne vous réduirez pas à vivre sans distinguer le tien du mien, comme nous le faisons nous-mêmes.
    Frontenac, Callières, les officiers, les invités sauvages, tout le monde suivait le débat avec attention et restait accroché aux lèvres de l’interprète, dès que Kondiaronk faisait une pause. C’était la première fois qu’il livrait le fond de sa pensée avec autant de sincérité et allait aussi loin dans ses récriminations, ce qui rendait l’affrontement plus intéressant que prévu.
    â€” Mais mon pauvre ami, raisonneras-tu toujours aussi mal? Au moins, écoute-moi une fois avec attention, répliqua La Hontan qui s’amusait ferme. Ne vois-tu pas que les nations de l’Europe ne pourraient pas vivre sans l’or ou l’argent, ou quelque autre substance précieuse? Sans cela, les gentilshommes, les prêtres, les marchands et mille autres sortes de gens qui n’ont pas la force de travailler la terre mourraient de faim. Comment nos rois seraient-ils roi? Quels soldats pourraient-ils recruter? Qui voudrait travailler pour eux ou pour qui que ce soit? Qui fabriquerait les armes pour d’autres que pour lui-même? Crois-moi, nous serions perdus, sans ressources, ce serait le chaos, la plus épouvantable confusion qui se puisse imaginer.
    â€” Vraiment, tu fais de beaux contes quand tu parles des gentilshommes, des marchands et des prêtres, bondit Kondiaronk, piqué au vif. Est-ce qu’on en verrait s’il n’y avait ni tien ni mien? Vous seriez tous égaux comme le sont les Hurons entre eux, et ceux qui ne sont propres qu’à boire, manger, dormir et se divertir mourraient en langueur, abandonnés de tous. Mais assez parlé de sagesse et d’équité, toutes qualités que la cupidité détruit chez vous. Voyons plutôt ce que doit être un vrai homme.
    â€” Si tu continues à raisonner de façon aussi fantaisiste, nous ne sommes pas sortis de l’auberge.
    Cette remarque fit rire l’assistance. On apporta de nouvelles boissons, mais Kondiaronk repoussa d’un revers de la main le pichet qu’on lui tendait. Il ne voulait pas perdre ses moyens. Il condamnait d’ailleurs avec force l’usage abusif qu’on faisait de l’eau-de-vie et recommandait à ses guerriers de n’y point toucher. Des préceptes que personne ne semblait suivre, ce soir-là, puisque les cruches de guildive couraient de main en main.
    â€” Voyons donc ce que tu appelles « un vrai homme ».
    â€” Premièrement, il doit savoir marcher, chasser, pêcher, tirer un coup de flèche ou de fusil, savoir conduire un canot, faire la guerre, connaître les bois, être infatigable, vivre de peu dans l’occasion, construire des cabanes et des canots, faire en un mot tout ce que fait un Huron.
    â€” Le contraire m’eut étonné!
    Nouveaux rires à la remarque du baron. On s’égayait en se poussant du coude.
    Kondiaronk fit un geste magistral, les mains largement ouvertes devant lui.
    â€” Voilà ce que j’appelle un homme! Car, dis-moi, je te prie, combien de gens y a-t-il en Europe qui, s’ils étaient à trente lieues dans une forêt avec un fusil ou des flèches, ne pourraient ni chasser de quoi se nourrir ni même trouver le chemin d’en sortir?
    Frontenac se mit à rire en se faisant remplir un autre verre. Il avait un peu trop bu et se sentait agréablement ivre.
    â€” Fort bien dit! répliqua-t-il. Nos jeunes recrues ne peuvent passer plus de deux heures en forêt sans se perdre corps et biens.
    Mais l’Indien continuait.
    â€” Tu vois que nous traversons cent lieues de bois sans nous égarer, que nous tuons les oiseaux et les animaux à coups de flèches, que nous prenons du poisson partout où il s’en trouve, que nous suivons les hommes et les bêtes à la piste dans les bois les plus impénétrables, été comme hiver, que nous vivons de racines quand nous sommes aux portes des Iroquois, que nous savons manier la hache et le couteau pour faire mille ouvrages nous-mêmes. Si nous faisons toutes ces choses, pourquoi ne les feriez-vous

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