Frontenac_T1
la sortie quâil leur préparait, il risquait peu dâaméliorer le bouquet.
Mais cela lui était égal.
Il sâengagea dâun pas militaire sous le grand porche menant directement au jardin. Quand le portier vit sâavancer le gouverneur, encadré de sa garde en livrée vert et or, il sâinclina et sâeffaça aussitôt, lâair ahuri. Comme il nâétait pas question de faire de politesses au supérieur et que la surprise faisait partie de sa stratégie, Louis ne sâarrêta pas pour se faire annoncer et continua sa course. Il marchait vite et était en nage, malgré les vents dâautomne qui parcouraient le jardin. Les soirées étaient déjà étonnamment fraîches pour un début de septembre.
Les hautes enceintes recelaient un éblouissant enchevêtrement de trésors que Louis découvrait chaque fois avec le même mélange dâadmiration et dâenvie. Ce jardin de prestige signait, plus sûrement que nâimporte quelle bâtisse, le rang social et la richesse de ces messieurs. Tout ici respirait lâaisance et le confort : lâaqueduc alimentant plusieurs bassins, le canal et la fontaine en maçonnerie de grès, le puits couvert dâun toit octogonal, les multiples lits de plantes découpés en damier et lâimmense carré central rempli de fleurs décoratives. Sans compter les plates-bandes de légumes et de fruits comestibles, de fines herbes, de plantes aromatiques qui se révélaient au fil de sa promenade, les nombreux tilleuls, noyers, lilas, et enfin, tout au fond, comme le secret le mieux gardé, la superbe tonnelle réservée au recueillement et à la lecture et dâoù pendaient de généreux rameaux de vigne, dans leur flamboyante robe dâautomne.
«Il nây a jamais que les Ursulines pour les battre à ce genre de raffinement », pensa-t-il. Ses propres jardins ne supportaient pas la comparaison, même sâil sâévertuait à les meubler du mieux quâil pouvait et selon ses maigres ressources. Le jour baissait et il hâta le pas.
â Là , prenez le passage qui mène tout au fond. On mâa dit que câétait dans cette partie abandonnée du vieux séminaire que cela se passait. Pressons, pressons, je ne veux pas manquer mon entrée.
Et ses gardes dâenfiler dans le petit sentier qui menait au vieux séminaire. Louis aurait pu sây rendre directement par la rue Saint-Paul, mais il avait préféré faire ce détour par le jardin pour ne pas attirer lâattention. Quand ils furent assez proches, ils purent saisir des bruits de voix et des cris étouffés.
â Nous sommes visiblement sur la bonne piste.
Louis prit les devants, poussa brusquement la porte et fit irruption sur une scène assez saugrenue. Dans une grande salle voûtée et faiblement éclairée sâagitaient des soldats, quelques hommes ensoutanés et quatre femmes en pleurs. Lâune dâelles, une bourgeoise en qui Louis reconnut lâépouse dâun marchand respectable de la rue Saint-Paul, était retenue par deux soldats qui lâimmobilisaient, jupes relevées, pendant quâun troisième la fessait durement avec une branche de saule. Son jupon était taché de sang et elle criait à fendre lââme.
â Cela suffit! Laissez cette honnête femme!
Louis fonça sur le militaire, lui arracha son bâton et le lança rageusement sur le sol. Puis il le frappa de sa canne à coups répétés, furibond, le traitant de lâche et de vil batteur de femmes. Lâautre resta coi de stupeur et se protégea le visage de la main. Les prêtres parurent tellement surpris par la brusque apparition du gouverneur quâils en demeurèrent interdits, figés comme des plantes en pots.
Louis se tourna enfin vers eux, rouge de colère.
â Câest vous qui encouragez ces menées inquisitrices, espèces de sépulcres blanchis? On mâavait bien renseigné, mais je ne mâattendais pas à de pareilles abominations. Alors, messieurs, on aime bien retrousser les jupons des dames?
Les religieux se montrèrent scandalisés. Le curé Rémy de Lachine se défendit.
â Mais enfin, monseigneur, vous vous méprenez sur nos intentions... Ces paroissiennes ont une conduite répréhensible que... enfin que...
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