Frontenac_T1
nây pas prêter attention, mais ce dernier récit rapporté par des Montréalistes outrés dépassait les bornes. On verrait bien qui était le gouverneur et à quelle enseigne il logeait, sacredieu! Saint-Vallier aurait beau hurler à lâingérence et le ministre lui rappeler sa promesse de vivre en bonne intelligence, il les enverrait paître. Sâil laissait ces dévots compassés sévir et pourchasser le péché jusque dans lâhonnête chaumière, câen était fait de la tolérance en ce pays!
Plus il avançait et plus sa fureur enflait. à chaque nouvelle enjambée, sa canne donnait durement contre le pavé. Il en avait déjà cassé trois dans le mois, et celle quâil lançait en cet instant devant lui semblait promise au même sort.
Tout virait en eau de boudin depuis quelque temps, au point que Louis commençait à en avoir assez. Cet été-là avait été pourri. Il avait essuyé une terrible désillusion lorsquâil sâétait précipité de Montréal vers Québec, fin juillet, pour accueillir les bateaux chargés de nouveaux contingents. Il sâétait buté à des bâtiments ne transportant que des munitions, des ballots et des marchandises. Il nây avait pas lâombre de la queue de casaque dâune nouvelle recrue... Il avait failli sâétouffer de colère et de dépit. Il aurait jeté lâéponge et se serait rembarqué pour la France illico , sâil avait pu, mais sâétait contenté de reprendre le chemin de Montréal, la rage au cÅur.
Rue Notre-Dame, il accéléra le pas, ses gardes du corps sâajustant tant bien que mal à son rythme. Il ne leur avait pas versé leur solde depuis plusieurs semaines, faute de fonds, et les dettes recommençaient à sâaccumuler. Heureusement que Tonty sâamènerait bientôt avec une cargaison de fourrures. Car les quatre cents Indiens alliés venus de Michillimakinac et rameutés par Tilly de Saint-Pierre nâavaient ramené aucune pelleterie. Rien que des scalps! Une centaine de chevelures prises sur lâennemi et pour lesquelles Louis avait dû verser des primes, en plus de devoir héberger et régaler tout ce beau monde, en particulier Kondiaronk et ses guerriers, ce qui laissait ses goussets à nouveau bien dégarnis.
« Mais comment éviter tous ces déboursés, ressassait-il, quand la colonie dépend à ce point de lâaide des alliés? »
Leur conduite était, de plus, irréprochable. Depuis un an, ils nâavaient cessé de harceler les bourgades iroquoises pour les empêcher de chasser et avaient forcé leurs guerriers à rester chez eux pour protéger leur famille. Il y aurait eu, dâaprès la dernière lettre du commandant Louvigny, au moins huit cents Indiens alliés toujours en campagne autour de Michillimakinac. Un appui qui nâavait cependant pas empêché Montréal et ses environs dâêtre tout lâété la proie de contingents agniers qui arrachaient des vies par ci, brûlaient du bétail et des maisons par là . Bref, depuis des mois, tout semblait tourner sur des roues carrées et Louis nâen finissait plus de ravaler sa frustration. Alors ces histoires de Tartuffes ensoutanés tombaient plutôt mal...
La haute maison des Sulpiciens, à lâimmense façade sâétendant jusquâà la rue Saint-François-Xavier, se devinait déjà au détour dâun bosquet. Elle était construite à côté de lâéglise paroissiale et dominait les quelques constructions aisées qui sâéchelonnaient de part et dâautre de la rue Notre-Dame. Louis se dirigea de ce côté. Ce deuxième séminaire était constitué dâun corps de logis, de deux ailes latérales de trois étages flanquées dâune tour carrée, le tout jouxtant un immense jardin enchâssé bien à lâabri derrière une solide enceinte de pierre. Câétait une construction imposante, plus pratique que magnifique, mais qui nâen sentait pas moins la prestance seigneuriale.
Louis pressa le pas. Il nâaimait pas les Sulpiciens. Il avait eu de nombreux démêlés avec eux par le passé et leurs relations avaient toujours conservé un parfum de vinaigre. Dâautant quâavec
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