Frontenac_T1
où les mettre. La belle table et les tableaux pourraient aller dans la sacristie et le réfectoire, et le reste dans les salles de nos pensionnaires. Croyez bien quâils nous seront grandement utiles, monsieur le comte de Frontenac, vu la pauvreté de notre communauté et le peu de meubles dont nous disposons.
Câétait une forte femme dâune quarantaine dâannées, déléguée par les Hospitalières pour assister à lâinauguration. Elle avait accepté de participer à cette nouvelle Åuvre dès quâelle avait compris dans quelle pénible situation lâévêque plongeait sa communauté. Si toutes les religieuses étaient attristées de lâintransigeance de leur chef spirituel, elles se mirent néanmoins dâaccord sur un point : les partantes ne constitueraient quâune extension de lâHôtel-Dieu, jamais une nouvelle communauté. Que Saint-Vallier refuse cette exigence et elles se retireraient aussitôt.
La visite terminée, le petit groupe se dirigea vers la sacristie où lâon commençait à servir les vins et les douceurs. Portée par lâeuphorie, sÅur Sainte-Ursule accepta un verre et le leva au succès du nouvel établissement. Quand on répéta le rituel, elle en fit autant et vida sa deuxième coupe sans se méfier de cette boisson de cerise qui paraissait si inoffensive. Elle qui ne buvait jamais que de lâeau claire... Elle sentit rapidement une douce chaleur lui monter à la tête et une espèce de tournis la gagner insidieusement. Câest sans doute ce début dâivresse qui lui donna le courage de confier ses inquiétudes à sa consÅur.
â Vous savez peut-être... ma mère... se risqua-t-elle en sâadressant discrètement à Marguerite Bourdon, que nous aussi avons eu quelques... démêlés... avec monseigneur lâévêque?
â Ah oui? lui rétorqua cette dernière, étonnée.
Elle nâen avait pas eu vent et cela piqua sa curiosité. Pour éviter que lâon surprenne leur conversation, elle prit le bras de sa compagne et lâentraîna à lâécart, près du couloir menant à lâéglise. Elle continua, en baissant le ton et en suggérant à soeur Sainte-Ursule dâen faire autant.
â Mais à quel sujet, ma sÅur?
â Oh, cela nâa été abordé quâune seule fois mais... depuis lors, nous sommes toutes fort inquiètes. Jâétais avec mère Bourgeoys, notre directrice, quand monseigneur lâévêque lui en a touché mot. Câest à propos de vÅux que Son Ãminence souhaiterait nous voir prononcer, de règlements de sa composition quâil voudrait nous voir adopter, et surtout, du cloître quâil prétendrait nous imposer... comme à la majorité des communautés féminines. Ne nous répète-t-on pas depuis toujours quâà une femme il faut un mari ou une clôture? Mais cela va très clairement à lâencontre de notre mission. Nous sommes une communauté de séculières et nous allons dans le monde enseigner aux filles, en imitant la vie voyagère de Notre-Dame. Nous cloîtrer reviendrait à nier notre raison dâêtre.
Mère Bourdon fronça les sourcils en secouant la tête, dâun air catastrophé.
â Et comment a réagi mère Bourgeoys?
â Avec un aplomb qui mâa fort impressionnée, elle lui a répondu que tout cela ne pouvait se régler sans en appeler à notre maison-mère en France, et que pour le moment, elle avait bien dâautres préoccupations. Il est vrai que nous avons traversé tellement de deuils, depuis quelques mois, que cela donne froid dans le dos. Comme si le Seigneur nous abandonnait. Nous avons perdu dix de nos compagnes en quelques mois. Des femmes dans la jeune trentaine, pour la plupart, mortes dâépuisement et de maladies. Heureuse ment que vous autres, Hospitalières, avez accepté de nous relayer et de prendre cette institution en charge!
â Accepté... est un bien grand mot, ma chère sÅur... chuchota mère Bourdon en lui prenant les mains et en poussant un soupir dâimpuissance. Mais gardez confiance, Dieu ne vous abandonne pas, il vous met à lâépreuve. Votre directrice a eu le bon réflexe. Vous savez, avec Son Ãminence, un saint homme
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