Frontenac_T1
besoins grandissants de la population. Seul le roi pouvait soutenir lâÃglise de ce pays. Une dépendance qui avait son prix...
« à quel degré de soumission faudra-t-il se rendre pour conserver le privilège de desservir cette singulière population? » se demanda distraitement le prélat, tout en encourageant son ânesse à franchir la dernière étape.
La petite grille de fer forgé, tirée par un pensionnaire faisant office de portier, grinça longuement sur ses gonds. Lâattelage sâengagea aussitôt dans lâentrée, contourna le long bâtiment conventuel et sâavança jusquâà la ménagerie où il sâimmobilisa. Des porcs et quelques poules couraient en tout sens, pendant que, dans leur enclos, deux bÅufs piétinaient et quâun cheval piaffait bruyamment. Câétait le petit cheptel quâune vieille dame de lâîle dâOrléans avait donné à lâétablissement en sây installant. Il y avait de quoi constituer un embryon de ferme.
Saint-Vallier mit pied à terre et conduisit prestement sa bête à lâétable. Après quoi, il se dirigea vers lâéglise le cÅur léger, porté par lâenthousiasme et un délicieux sentiment de plénitude.
* * *
La petite sacristie était une pièce blanche aux trois quarts dégarnie de ses meubles. Une longue table recouverte dâune nappe écrue brodée de motifs floraux, un emprunt aux Hospitalières, était poussée contre un mur et portait quelques flacons de vin de cerise, plusieurs cruches de vin de muscat â un cadeau de Frontenac â et quelques douceurs : des poires confites, des biscuits à la cuillère, de la gelée de coing et un gâteau à la citrouille.
Après lâoffice, une tournée des lieux avait été organisée par Saint-Vallier. Guidés par les religieuses et suivis dâune petite cohorte de pensionnaires, les invités, Frontenac en tête, avaient traversé successivement les salles du chapitre, le cloître, le dortoir, la cuisine, le réfectoire, les caves et le grenier. Lâévêque nâavait cessé de louer les Récollets pour leur construction toute de beauté et de sobriété. Les convives étaient ensuite entrés dans la maison de monsieur le comte. Câétait un petit bâtiment fait de matériaux légers, érigé entre lâéglise et le principal corps de logis.
â Voici lâantre du gouverneur. Câest ici que vous venez vous recueillir et penser à vos vieux péchés, monseigneur? se moqua Saint-Vallier en poussant affectueusement Frontenac du coude.
Ce dernier, lâÅil volontairement égrillard, lui rétorqua aussitôt :
â Des vieux péchés, Votre Ãminence? Jamais! Je veille toujours à renouveler lâinventaire de mes fautes. Il faut bien avoir du nouveau à confesser pour faire vivre nos curés, nâest-ce pas? Dâailleurs, pour me faire pardonner mes plus graves offenses, je lègue à votre hôpital les quelques meubles et ustensiles ici présents, en particulier ce pupitre, les chaises et la table attenante, les commodes et le lit, ainsi que les tableaux qui ornent ces murs.
La richesse de lâameublement de cette partie du couvent contrastait avec le dénuement des autres salles. Les Récollets nâavaient pas laissé grand-chose : que le retable et le balustre de lâautel, les lambris du chÅur, les deux confessionnaux et les bancs dâéglise.
â Grand merci pour votre générosité, monsieur le comte, je nâen attendais pas moins de vous. Ce mobilier servira à nos sÅurs, nâest-ce pas, sÅur Sainte-Ursule?
Saint-Vallier se tourna vers une toute jeune femme au pas vif qui répondit timidement, lâair de vouloir se faire oublier :
â Oh, Votre Ãminence, nous ne nous installons que temporairement, en attendant nos remplaçantes. Nous nâavons besoin de rien. Mais peut-être que mère Marguerite Bourdon pourrait vous conseiller mieux que moi sur lâendroit où placer ces meubles, puisquâelle est hospitalière et devrait emménager prochainement avec ses compagnes?
â Eh bien, répondit cette dernière dâune voix décidée en se rapprochant du prélat, nous trouverons sûrement un endroit
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