Frontenac_T1
la relation que Frontenac avait entretenue avec ses parents, en particulier avec son père, dont il avait pourtant toujours parlé de façon admirative. Quant à Henriette-Marie, sa sÅur aînée, il ne sâétonna pas de le voir encore si profondément attaché à sa mémoire, quelque vingt-cinq ans après son décès, parce que Frontenac lâavait toujours considérée comme sa véritable mère.
Un silence sâinstalla que le secrétaire se garda bien de rompre. Louis sâétait tu, tout en continuant à fixer le feu qui se colorait de mille lueurs et crépitait bruyamment. Il finit pourtant par sâarracher à ses souvenirs en faisant mine de sâébrouer.
â Quel idiot je fais, ne trouvez-vous pas? Me voilà à mâapitoyer sur de vieilles histoires qui nâintéressent personne, alors que le travail nous presse. Foin de ces jérémiades! Monseignat, je veux que vous ajoutiez ce petit bout à la dernière lettre que je vous ai dictée pour le ministre : Quand je vous ai parlé, monseigneur, de Fort Cataracoui et de lâutilité que jâen aurais pu tirer dans la continuation de cette guerre, cela nâa pas été dans la pensée de le rétablir incessamment et aussitôt que jâen aurais la permission de Sa Majesté. Je sais bien que je ne suis pas en état de le faire présentement, par le peu de troupes que jâai, et quâil ne faut ni séparer ni diviser. Mais jâose vous dire et le soutenir contre qui que ce soit, au péril de ma tête, que quand lâoccasion sâen présentera, je ne saurais rendre un plus grand service au roi, ni rien faire de plus avantageux pour la colonie que de rétablir ce poste, et que toutes les personnes qui diront le contraire ou sont fort ignorantes des affaires de ce pays ou nâont guère profité du séjour quâelles ont pu y faire. Enfin, monseigneur, pour le dire en un mot, câest un entrepôt nécessaire pendant la guerre pour les expéditions éloignées, car il sert de retraite pour les partis des pays dâen haut qui viendraient plus souvent harceler les Iroquois dans leur chasse sâils étaient assurés de pouvoir sây retirer en cas de poursuite. Et pendant la paix, câest le seul endroit où un gouverneur puisse assembler les sauvages afin de les maintenir dans de bons sentiments.
Louis repensa aux arguments déjà avancés et crut bon de revenir, en terminant, sur lâélément suivant :
â Rappelez donc aussi une dernière fois au ministre, Charles, que Cataracoui et les autres forts de lâOuest sont essentiels pour maintenir un commerce actif avec nos alliés. Si le commerce se tarit, nos Indiens, qui en ont besoin pour survivre, vont nous délaisser et sâallier aux Anglais et aux Iroquois. Et ajoutez donc, in fine  : Pardonnez-moi, sâil vous plaît, la chaleur trop grande avec laquelle il vous paraîtra peut-être que je vous parle..., pour dissiper lâimpression que je réagis davantage par amour-propre que pour le bien du pays. Et dites au ministre que je pourrai lui envoyer un avis plus détaillé de mes raisons dans une prochaine dépêche. Terminez-moi cela, avec tout le tralala protocolaire habituel et apportez-moi la lettre pour que je la signe. Elle doit absolument partir par le dernier vaisseau.
24
Notre-Dame-des-Anges, automne 1692
Câétait jour dâinauguration. Monseigneur de Saint-Vallier ne se tenait plus de joie. Son hôpital général étant enfin prêt, ses pauvres et ses invalides auraient désormais un toit bien à eux.
« Dieu que le chemin pour y parvenir a été long et semé dâembûches! » se disait-il, tout en portant un regard compatissant sur lâânesse qui peinait à faire avancer la charrette dans laquelle il avait pris place. Cet attelage, quâil avait offert aux Hospitalières, servait à voiturer leurs herbages du jardin et tout ce quâelles ramenaient de la basse-ville. Lâévêque lâutilisait régulièrement dans ses déplacements entre Notre-Dame-des-Anges et Québec. Il appréciait la lenteur et le côté humble de ce moyen de transport si peu protocolaire. Comme la gelée avait commencé à recouvrir les chemins, il se dit quâil faudrait bientôt remplacer
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