Frontenac_T1
conforme de Perreault. Mêmes cheveux rasés autour de la calotte, même carrure forte, même allure résolue.
Louis opina. Il connaissait personnellement le père Denys. Câétait le premier frère récollet né dans la colonie. Il avait dirigé avec succès les fondations récollaises de Trois-Rivières, Plaisance et Percé.
â Après avoir résilié le contrat passé avec les Sulpiciens, frère Denys a acquis un nouvel emplacement plus sécuritaire et entrepris une collecte de fonds auprès de la population de Montréal.
â Vous voyez comme vous êtes aimés des gens dâici?
Louis se réjouissait de voir ses protégés prendre enfin racine au pays. Une présence forte des Récollets pouvait faire pièce aux menées dominatrices des Jésuites et des Sulpiciens.
â Ce qui nous donne chaud au cÅur, monseigneur. Car sans leur appui, nous nâaurions pas progressé si vite.
â Câest un miracle de vous voir en moins de deux mois plus commodément établis à Montréal que vous ne lâêtes à Québec, continua Louis, avec un si grand emplacement que dans peu, vous en ferez un couvent aussi imposant que ceux que lâon trouve dans les plus riches provinces de France.
Il était vrai que les choses allaient bien pour eux, pensa le père du Moulin, mais il ne se berçait pas dâillusions. Leur présence nâavait jamais été acceptée par les autorités ecclésiastiques de cette colonie et il sâattendait à de nouveaux conflits. On les tolérait, tout au plus, et sâils étaient revenus en Canada en 1670, câétait bien parce que lâon manquait de prêtres et que les habitants, las de lâétouffant rigorisme moral des Sulpiciens et des Jésuites, les réclamaient à cor et à cri.
Monseigneur de Saint-Vallier, qui se promenait dâun groupe à lâautre, sâapprocha. Il dut saisir quelques bribes de leur conversation, puisquâil enchaîna aussitôt :
â Vous ne sauriez mieux dire, monsieur le gouverneur. Lâétablissement montréaliste de nos moines franciscains progresse de façon étonnante. Ils ont acquis une église et une maison qui, malgré sa petitesse, contient toutes les commodités nécessaires à une communauté religieuse. Et cela est bien, fit-il, en posant sa main sur lâépaule du père Perreault et en plantant un regard chaleureux dans le sien. En ces tristes temps de guerre que nous vivons, les habitants de Montréal ont besoin plus que jamais du secours de vos frères.
Perreault émit un grognement approbatif et sâinclina devant Saint-Vallier, tout en sâamusant de la soudaine mansuétude de lâévêque. Lui qui, hier encore, les raillait sans pitié. Il avait récemment cité devant des séminaristes hilares le vieux dicton disant quâil fallait un pinceau pour faire un jésuite, un ciseau pour faire un prêtre, mais que la hache suffisait amplement pour faire un récollet...
Saint-Vallier exprima encore une fois aux moines sa satisfaction pour le parfait état de conservation du monastère, des jardins et des dépendances que leur communauté lui avait cédés.
â Votre ordre tire admirablement parti du moindre lopin de terre et du plus petit pécule quâon lui confie, par une espèce de génie de la frugalité et du vivre de peu que je ne cesse de donner en exemple à mes séminaristes, ajouta-t-il.
Si Saint-Vallier était prêt à louer leurs talents de gestionnaires, il nâavait pas de compliments à leur faire sur leur attitude vis-à -vis de son autorité. Leur ordre peu dévot préférait un clergé assujetti à lâautorité royale plutôt que livré à la tutelle épiscopale. Une attitude qui créait une division au sein dâune Ãglise qui aurait eu intérêt à parler dâune seule voix pour contrer les empiétements répétés de la cour. Câétait une épine au pied de lâévêque et un malheureux ferment de dissension, quâil soupçonnait dâailleurs le comte de Frontenac dâalimenter dans le sens de ses intérêts. Mais comme lâévêque ne voulait pas gâcher une si belle journée, il fit taire ses appréhensions. Il aurait le loisir dây revenir
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