Frontenac_T1
guerre dâune voix puissante et gutturale. Les échos virils qui se répercutaient dans la pièce produisirent un tel effet dâentraînement que les autres délégués se pressèrent autour de Téganissorens et joignirent leur voix à la sienne. Lâenthousiasme à son comble, ils se lancèrent dans une danse de guerre endiablée et trépidante, qui semblait témoigner dâune détermination à toute épreuve.
Schuyler était satisfait. La haine du Français était toujours présente et ne demandait quâà être ravivée, ce qui constituait une excellente nouvelle pour les intérêts dâAlbany. Il se félicitait de la tournure des événements. Certes, les Iroquois se rendraient quand même chez Frontenac, mais Schuyler doutait que ce dernier accepte les conditions quâon voulait lui imposer. Les Iroquois avaient lâintention dâexiger une paix incluant les Anglais et négociée à Albany. Ils en faisaient une question de principe. Schuyler sâétait bien gardé, cependant, de leur expliquer que ces choses-là se discutaient en haut lieu et quâétant donné la guerre totale qui déchirait encore la France et lâAngleterre, Frontenac nâavait aucunement le pouvoir de prendre une telle décision.
En jetant un Åil sur ses pairs, il put lire le soulagement sur leur visage. La partie paraissait gagnée et la menace de paix avec les Français écartée, du moins à court terme. Arrivés avec une détermination inquiétante, les Iroquois avaient fini par entendre raison. Après avoir remis à son tour des colliers, il ordonna la levée de lâassemblée. Puis on disposa de la requête de Téganissorens. Après des échanges houleux, les membres du conseil se résignèrent enfin à leur accorder au moins le droit dâenvoyer un émissaire aux Iroquois catholiques. Cela leur parut un moindre mal et une concession de bon aloi.
* * *
Une fois les Iroquois rentrés dans leurs terres et la poussière retombée, il apparut à Schuyler quâil avait écarté le gros du péril. Mais il avait encore bien des fers au feu. Il sâétait engagé à débloquer les fonds nécessaires au versement du présent du roi, et surtout, à convaincre ses colonies voisines non seulement dâassister à la prochaine rencontre avec Fletcher, mais également de fournir des armes, des munitions et des hommes. Heureusement quâil pourrait compter sur le gouverneur de New York, quâil savait dévoué corps et âme au succès de leur cause commune.
Il relut la courte lettre qui lui était adressée.
Les sachems des Cinq Nations sont venus ici et jâai lutté avec eux plus de dix jours, comme Son Excellence le constatera par les procès-verbaux ci-inclus. Nos Iroquois étaient frappés de terreur et fatigués de la guerre avec le Canada, et nâavaient plus confiance dans notre pouvoir de les protéger contre la puissance grandissante des Français. Mais jâai réussi à gagner du temps jusquâau jour où Votre Excellence viendra, et ils se sont tous engagés à être ici, même Téganissorens, sur la présence duquel le gouverneur du Canada comptait tant pour la suite de ses pourparlers de paix. Les Français seront forcés de constater que les Iroquois sont toujours aussi étroitement soumis à la loi dâAlbany.
Mais jâappréhende que par lâhabileté du jésuite qui est dans leur pays, ils soient persuadés de façon contraire. Jâai cependant une grande confiance en vos qualités de négociateur. Je nâai eu dâautre choix, malheureusement, que de promettre à nos sachems beaucoup plus que ce que nous leur avons alloué les autres fois, ce qui nâa jamais été tellement considérable, après tout. Si nous perdons nos Indiens, qui sont notre bouclier le moins cher et le plus sûr contre les Français, notre situation deviendra critique.
Jâattends incessamment vos directives, et je demeure votre tout dévoué, Pieter Schuyler .
Le major nâeut aucune difficulté à imaginer la tête que ferait le gouverneur du Canada quand il comprendrait que son rêve de paix lui échappait à nouveau. Cette seule idée lui causa un vif plaisir et il en fit ses délices pendant un
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