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mâchoires. Les Iroquois étaient rusés. Ils acceptaient la trêve tout en se ménageant une possibilité de compromis. Schuyler reconnaissait bien là leur proverbial sens politique. Mais lui aussi gagnait du temps. Il était persuadé que dâici la rencontre avec Benjamin Fletcher, il saurait intéresser les colonies voisines à leur cause. Et il avait confiance dans le pouvoir de persuasion du gouverneur de lâÃtat de New York, qui toujours avait su plier la réalité à sa volonté.
â Quant au père Millet, poursuivit lâémissaire iroquois, nous allons déposer des wampums devant les cabanes des principaux dâOnneiout pour leur demander de nous livrer les lettres quâil reçoit du Canada et lui interdire de communiquer à nouveau avec son pays.
â Mais je veux ce maudit félon qui vous trahit sans cesse! Quâattendez-vous donc pour me le livrer?
Le maire dâAlbany sâétait levé de sa chaise, dépassé par sa colère. Il ne supportait plus ces tergiversations chaque fois quâil était question de ce damné curé.
Téganissorens laissa le temps aux interprètes de traduire la sortie de Schuyler, puis il se tourna vers ses acolytes. Des murmures étonnés couraient dans leurs rangs. Cette demande de livrer Millet refaisait constamment surface, mais câétait la première fois quâon lâexprimait sur un mode aussi impérieux. Les Iroquois croyaient pourtant sâêtre fait comprendre à ce propos. Et la question était délicate, ce que Schuyler ne pouvait pas ignorer.
Profitant du moment de flottement, ce dernier glapit un ordre. Un officier apparut bientôt en tenant par la main un petit Indien fort joli qui paraissait intimidé. Il était vêtu dâune culotte de grosse toile enfilée sur une chemise propre et jetait autour de lui des regards effarouchés. Il ne devait pas avoir plus de quatre ou cinq ans.
â Comme je sais que vous avez besoin dâeffectifs, jâai pensé vous offrir en échange du père Millet ce petit homme, qui semble en excellente santé et fort vif dâesprit.
Le maire dâAlbany leur présenta lâenfant en ébouriffant la chevelure noire et drue du garçonnet, qui ne disait mot et baissait la tête.
â Câest un prisonnier illinois. Il remplacera avantageusement le vieux jésuite et vous fera une meilleure relève.
Des chuchotements couraient de plus belle chez les chefs. Ils semblaient embarrassés. Téganissorens se retourna pour en consulter quelques-uns, puis il reprit bientôt :
â Frère Quider, nous sommes touchés et reconnaissants de la générosité et de la compréhension dont tu témoignes à notre égard. Cet enfant fera en effet une excellente relève, mais nous ne pouvons lâaccepter pour le moment. Le père Millet a été adopté par les Onneiouts et il remplace Otasseté, un grand guerrier. Il ne nous appartient pas de décider de le leur enlever. Je ne peux que déposer des wampums devant les cabanes des principaux Onneiouts pour leur faire part de ta requête. Et peut-être alors pourrons-nous, si ta demande est acceptée, te remettre le jésuite et prendre cet enfant en échange.
Cette fois, Schuyler nâinsista pas et se retint dâexprimer la moindre contrariété. Il se promit cependant de revenir sur cette question quand Fletcher serait présent. Il fallait écarter à tout prix le jésuite, quitte à bousculer les coutumes de ses alliés.
Mais le négociateur enchaînait déjà , dâune voix où transparaissait une ferveur nouvelle :
â Mon frère, je te jure que si, lors de la prochaine rencontre, les grands capitaines de tes colonies sÅurs sont présents, sâils sont prêts à lever la hache de guerre et à joindre la chaîne dâalliance que les Français voudraient tant nous voir rompre, nous la tendrons à nouveau, nous la ferons briller de tous ses feux et ferons régner chez nos ennemis une terreur telle quâils maudiront le jour qui les a vus naître. Unis et solidaires comme les feuilles dâun même arbre, nous détruirons les Canadiens, cette race maudite, et lâéliminerons une fois pour toutes de la surface de la Terre!
Ce disant, lâIndien se leva et se mit à entonner un chant de
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