Frontenac_T1
deux parties.
â Quitte à poursuivre les discussions et à rencontrer un à un chacun des sachems ... tant et aussi longtemps que nous nâaurons pas ramené ces égarés à la raison.
* * *
Albany était une petite ville fortifiée, entourée dâune palissade de bois au parcours en forme de cloche. La base courait le long de la rivière Hudson et son sommet abritait le nouveau fort, où était maintenue en permanence une petite garnison servant à protéger les habitants, en grande partie dâorigine hollandaise, et à leur rappeler, sâils venaient à lâoublier, quâils étaient désormais sujets britanniques. Lâagglomération comptait environ cent cinquante bâtiments résidentiels et commerciaux, et abritait pas moins de sept cents personnes. On avait logé les délégués iroquois chez des commerçants et des traiteurs de fourrures, et installé Téganissorens et ses deux interprètes dans la maison familiale des Schuyler. La grande demeure, à vocation commerciale et résidentielle, occupait lâintersection des rues State et Pearl. Les trois hommes avaient refusé les chambres quâon leur offrait, préférant plutôt camper à même le sol, dans le fond de la boutique située sous le logis.
Câétait à cet endroit que fumaient tranquillement les sachems , cette nuit-là . Ils étaient assis en cercle sur leur natte posée sur la terre battue, les jambes ramenées sous les fesses. Une lumière vacillante surgie dâun âtre où mouraient quelques bûches éclairait des visages sombres et concentrés. Aux arômes du feu et à la fumée des pipes se mêlaient les exhalaisons des corps enduits de graisse et de peinture végétale. La nuit était jeune et les chefs avaient du temps devant eux. Dehors, la pluie tombait maintenant à verse et le ciel, sombre et bas, était chargé de nuages menaçants.
â Nous devons sortir de cette impasse, leur avait affirmé Téganissorens entre deux pipées, invitant ses frères à exprimer librement leurs sentiments.
Ils prirent la parole à tour de rôle et discutèrent longuement et avec fougue. Les arguments en faveur ou en défaveur dâune paix avec les Français furent à nouveau évoqués. Les avis divergents reflétaient le clivage qui régnait au sein du grand conseil. Certains proposaient dâaccepter les conditions imposées par les Anglais, dâautres de refuser de négocier et de se retirer, dâautres encore de louvoyer au plus près pour éviter des dommages plus graves encore. Téganissorens était partisan de cette dernière approche.
â Il faut à tout prix, dit-il avec fougue quand son tour fut venu, éviter de se mettre dans le trouble. Faire la paix avec les Français et se retrouver le lendemain avec les colonies anglaises sur le dos ne nous avancerait guère. Dâautre part, ne pas se rendre à Québec risquerait de nous attirer de graves représailles, et qui sait, une guerre impitoyable. En donnant aux Anglais comme aux Français lâimpression que nous nous plions à leurs exigences, nous éviterons le pire. Dâailleurs, avons-nous le choix, coincés comme nous le sommes entre deux puissances qui exigent de notre part des actions si opposées? Seuls nos frères, réunis en grand conseil, pourront véritablement trancher.
Quand le soleil réapparut, au petit matin, il éclaira brutalement une poignée dâhommes toujours plongés avec ferveur dans les méandres de leurs conjectures. Fourbus, la voix rauque dâavoir tant fumé et parlé, ils nâavaient pas encore arrêté de position commune. Ils sâaccordaient néanmoins pour laisser traîner les choses. Il nâétait guère dans lâhabitude des sauvages de précipiter une décision pouvant sâavérer aussi lourde de conséquences. De surcroît, cela ferait monter les enchères et forcerait les Anglais à dévoiler leur jeu. Les Iroquois savaient à quel point ces derniers dépendaient dâeux pour leur survie. Téganissorens renvoya les chefs dans leurs quartiers en les enjoignant de lui faire part de toute tractation menée « sous terre » et sâengagea à les réunir à nouveau, sitôt que la situation le requerrait.
Dans
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