Frontenac_T1
ensuite déballer les nombreux cadeaux offerts par Frontenac : couvertures, capots de laine, habits militaires, haches, verroteries et perles de porcelaine sâétalèrent sur les nattes des chefs. On soupesa, on commenta, on fit circuler des présents qui seraient redistribués selon un rituel propre à chaque tribu. Puis les trois prisonniers ramenés des galères furent officiellement remis à leurs représentants. Les hommes sâavancèrent en dansant leur danse de retrouvailles, lente et rythmée par les tambours. à la suite de quoi un orateur exprima leur grande satisfaction de les revoir enfin parmi eux.
Un Agnier * réclama alors la parole. Câétait un homme dont le visage était peint en noir, couleur de guerre. Il agissait à titre dâémissaire de Pieter Schuyler, le maire dâAlbany, qui nâavait pas pu se déplacer à temps pour assister au conseil. Il présenta à son tour quelques wampums et attaqua aussitôt, sur un ton plein de morgue :
â La menace que brandit Onontio de nous détruire est étrange pour qui a les yeux bien ouverts. Le soleil qui mâéclaire me fait pourtant voir des guerriers français morts de peur et trop peu nombreux pour nous affronter. Fermez vos oreilles aux paroles trompeuses dâOnontio, qui ne parle de paix que le couteau sur la gorge. Frappons les Français pendant quâils sont à genoux, comme nous le recommande notre frère Schuyler, qui nous interdit dâaller parler de paix à Fort Cataracoui. Le sol y est dâailleurs toujours imprégné du sang de nos braves. Ne signons aucune entente avec lâennemi juré de notre peuple et de nos frères anglais. Les armes françaises se briseront sur notre chaîne dâalliance * , le Grand Esprit nous lâa confirmé par des signes. Des bruits étranges et peu communs se sont fait entendre dans le ciel et une pluie de crânes est tombée en présage à la destruction des Français!
Et lâorateur de lancer sa hache en lâair pour signifier quâil fallait continuer la guerre à outrance avec le Canada, ce qui déclencha un délire dâapprobations tonitruantes. Le clan favorable aux Anglais était nombreux et violemment opposé à toute tentative de rapprochement avec la Nouvelle-France.
Ces dernières paroles inquiétèrent tellement Pierre Millet, un jésuite français exerçant son ministère chez les Iroquois, quâil ne put sâempêcher de se lancer à son tour dans la mêlée. Le missionnaire assistait au conseil sous le nom dâOtasseté, un grand chef onneiout * décédé depuis longtemps et comptant parmi les fondateurs de la Ligue iroquoise. La tradition voulait quâon puisse « relever lâarbre tombé » en adoptant quelquâun et en lui conférant lâidentité du défunt. Le religieux se trouvait ainsi investi de tous les pouvoirs du chef décédé, y compris celui de délibérer dans les conseils et de représenter les intérêts de la nation onneioute. Câest une mère de clan, Suzanne Guantagrandi, qui lui avait ainsi sauvé la vie. On avait accusé à tort Millet dâavoir joué un rôle actif dans lâenvoi aux galères dâune poignée dâIroquois, quelques années plus tôt. Nâeût été son adoption, il aurait fini sur le bûcher.
Otasseté reprit les propos de lâambassadeur anglais et les tourna en dérision.
â Où est donc tombée cette pluie de crânes annonçant la défaite des Français? se moqua-t-il. Je ne lâai point vue tomber, et pourtant, jâai la vue du faucon. Mon frère dort-il debout ou prend-il ses songes pour la réalité? continua-t-il, goguenard, en fixant lâAgnier, figé dans un sourire glacial. Et vous, fiers sachems, qui vous prétendez seuls maîtres de vos vies, poursuivit le jésuite avec provocation en se tournant de droite et de gauche, comment pouvez-vous accepter sans rougir que lâAnglais vous dicte votre conduite et vous interdise même de rencontrer Onontio ou de signer un traité avec lui? Seriez-vous devenus lâesclave de lâAnglais, son chien docile, son erhar ?
Il martelait effrontément ces mots, les répétait avec arrogance en mimant le grognement du chien, pleinement conscient de leur
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