Frontenac_T1
prêts à aller au-devant de Frontenac pour lâescorter, avec les honneurs dus à son rang, jusquâau palais de lâintendant; les fois suivantes, un huissier irait le chercher chez lui pour lâaccompagner jusquâau pied de lâescalier du palais, où deux délégués le conduiraient ensuite à son fauteuil.
â Si Votre Seigneurie nâapprouve pas cette offre, nous sommes prêts à nous conformer à vos désirs.
â Intéressant, intéressant, avait fait le comte pour toute réponse en se tenant le menton dâun air concentré, comme si la chose nécessitait une intense réflexion. Après quoi il avait repris :
â Je demande à voir le registre, monsieur de Villeray, pour mâassurer que tout cela y a bien été consigné.
Et le malheureux avait dû descendre et remonter la côte Saint-Louis pour présenter un registre dans lequel tout avait été méticuleusement noté par le greffier. Après lâavoir examiné dans le détail, Frontenac sâétait enfin montré satisfait.
Mais lorsque les quatre instigateurs sâétaient présentés chez lui le lundi matin suivant pour lâaccompagner à la séance hebdomadaire, il leur avait répondu :
â Je suis enchanté de voir que vous avez conservé toute la considération que vous devez à ma fonction ainsi quâà ma personne, mais je tiens à vous assurer que si vous mâaviez consenti des marques dâhonneur démesurées, je les aurais refusées, pour ne pas compromettre la dignité du conseil dont je suis moi-même la tête dirigeante.
Ses interlocuteurs avaient failli sâétouffer devant une telle manifestation dâhypocrisie courtisane. Puis Frontenac avait susurré quâil serait heureux de venir siéger « peut-être après Pâques, ou à tout le moins dans une couple de mois ». Et câest à la nouvelle du piètre résultat de cette dernière délégation que Champigny avait lancé sa boutade incendiaire.
«Il doit savourer sa victoire à lâheure quâil est, se dit lâintendant. Il sâamuse à nous humilier pour se venger probablement du fait que la plupart des membres de lâactuel conseil ont été témoins de son rappel, et y ont même pris une part active. »
Ce quâil pouvait détester cette petite noblesse de comtes, de barons et de marquis, tombés de leur piédestal et convertis en courtisans, mais qui avaient néanmoins conservé leur arrogance et leur prééminence sociale! Frontenac était un pur produit de cette vieille mentalité aristocratique et élitiste qui sâappuyait sur le clientélisme * et les relations familiales.
Bien que Champigny fût membre dâun clan de gens de justice enrichis et alliés, par mariages, aux grandes familles de la noblesse de robe * , il nâavait pas lâétoffe dâun courtisan. Quant à son élévation, on ne pouvait lâimputer quâà ses compétences et à un travail acharné. Le roi ne lâavait jamais distingué que par son mérite et non pour des titres de noblesse à quatorze quartiers * .
Champigny haussa les épaules et se promit de narrer dans sa prochaine lettre au ministre tous les épisodes de cette bouffonnerie dâun burlesque achevé, histoire de bien discréditer lâhomme et de faire voir à la cour quâil nâavait rien perdu de ses vieilles habitudes. Il encouragerait dâailleurs les membres du conseil à en faire autant.
* * *
Ce jour-là , lâanimation était grande à Onontagué, la capitale iroquoise. Quatre-vingts grands chefs issus des Cinq Nations sâétaient réunis pour le conseil fédéral convoqué à la demande de Nez Coupé, le porteur des propositions de Frontenac. Malgré le froid de loup qui sévissait sur le pays, la longue maison du conseil dégageait une chaleur confortable, produite autant par les foyers en activité que par le nombre imposant de délégués rassemblés. Assis sur les banquettes de couchage ou à même le sol, ces derniers fumaient leur pipe en échangeant bruyamment. La mère de clan et quelques femmes se tenaient debout aux extrémités de la longue maison. Directement concernées par les questions de guerre et de paix,
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