Frontenac_T1
apprit que douze nations outaouaises avaient signé un traité de paix avec les Tsonontouans, auquel elles demandaient aux autres nations iroquoises de se joindre, en y incluant leurs frères de la Nouvelle-York.
Otasseté tressaillit. Le spectre tant redouté dâune triple alliance entre les tribus des Grands Lacs * , jusque-là alliées des Français, les Iroquois et les Anglais se dessinait sous ses yeux et il ne pourrait pas lâempêcher.
Lâautre se mit à réciter les paroles des Outaouais, qui étaient venus en délégation et se pressaient autour de lui en opinant dâabondance à chacun de ses énoncés.
â Nous sommes venus pour ne plus faire quâun seul corps avec vous, nous sommes venus pour apprendre de vous la sagesse, pour lâapprendre aussi de vos frères des autres nations et de vos frères anglais. Que notre amitié dure aussi longtemps que le soleil, que la pluie du ciel nettoie à jamais toutes nos haines accumulées. Nous nous lavons les mains des mauvaises actions dâOnontio et jurons de ne plus jamais nous abaisser à lâappuyer. Et nous jetons à terre la hache de guerre quâil a placée dans nos mains.
Ce disant, lâIroquois lança sa hache sur le sol et se mit à esquisser des pas de danse en tournant autour. Dâenthousiasme, plusieurs entrèrent à leur tour dans la ronde et se mirent à sautiller au même rythme, dans un ballet dâune insolite beauté où tous les hommes se courbaient puis se redressaient au même moment, brandissant le casse-tête et psalmodiant leurs sassakouez , ces cris et tirades syncopées à la mode indienne.
6
Montréal, hiver 1690
Les deux officiers, crottés et empestant comme des putois, les yeux enfoncés dans les orbites et la peau collée aux os, tenaient à peine sur leurs jambes. Ils se mouraient de fatigue et de faim, alors que Callières sâentêtait à les bombarder de questions.
« Que ne nous refile-t-il dâabord un croûton de pain et un pichet de vin! » se dit Pierre dâIberville, se sentant aussi faible quâun poussin au sortir de lâÅuf. Son compagnon, Le Ber, sâétant trouvé mal, il avait dû le porter sur son dos pendant des heures, dans un froid de février si tranchant quâon aurait dit que le sang se glaçait dans ses veines.
â Monseigneur, se résigna-t-il enfin à demander, nous nâavons rien avalé depuis des jours. Peut-on nous donner le boire et le manger?
â Certes, fit Callières en sâextirpant de sa réflexion.
Il donna un ordre à un majordome qui sâen fut aux cuisines dâun pas alerte.
â Vous disiez donc, monsieur dâIberville, que le retour avait mal viré? Les Iroquois, que vous avez épargnés volontairement à Schenectady * , auraient alerté les Anglais dâAlbany et se seraient joints à eux pour sâabattre sur les nôtres?
â Oui, monseigneur. Un habitant du bourg a échappé au massacre et a gagné Albany, où il a donné lâalerte. Ce nâest que plus tard que les trente Agniers trouvés sur place, dâabord faits prisonniers puis libérés, ont rallié des troupes dâAlbany et se sont lancés à nos trousses. Avec les chevaux pris aux Anglais, et malgré nos prisonniers, nous avons distancé rapidement nos poursuivants, mais quand nos hommes se sont arrêtés pour abattre quelques montures afin de nous nourrir, un gros contingent de sauvages et dâAnglais nous est tombé dessus à lâimproviste. Ils ont fauché quinze de nos meilleurs éléments.
â Pourquoi diable avoir libéré ces Agniers?
â Câest monsieur de Frontenac qui lâa exigé, avant notre départ de Québec.
Callières grimaça. Quinze tués, câétait une perte énorme.
â Et pourquoi vos hommes ont-ils été rattrapés, monsieur dâIberville?
La question était pertinente et méritait quâon sây attarde, mais le moment était mal choisi. Les deux officiers étaient épuisés et nâaspiraient quâà manger et dormir. Le temps des bilans viendrait plus tard. Mais Callières ne pouvait sâempêcher de penser quâon avait dû négliger lâordre de marche. Le choix des mots et le ton de voix laissant supposer
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