Frontenac_T1
quâen ont-ils fait? Est-il toujours vivant?
â Il vit, répondit lâIndien. Je lâai vu de mes yeux prendre la parole devant le conseil. Il a même pris le chemin de Montréal, la veille de notre départ.
Callières se demandait sâil devait prêter foi à cette information.
â Et pourquoi donc les Agniers, que nous avons épargnés lors de notre expédition à Schenectady, sont-ils venus ouvrir les hostilités jusque devant Montréal?
â Ils ont été soulevés par une poignée dâOnneiouts. Les gens des autres cantons nâont pas réussi à les retenir.
Callières était perplexe. Il ne croyait pas un mot de ce que lui racontait Nez Coupé. Il nâen continua pas moins de le questionner, une manÅuvre à laquelle lâautre refusa net de se prêter. Excédé, il ordonna de faire escorter les délégués à Québec où Frontenac en tirerait peut-être davantage. En ce qui le concernait, il en savait assez pour réaliser que lâintensification de la guerre avec lâIroquois était au programme et que la paix nâétait pas pour bientôt.
7
Québec, hiver 1690
Perrine battait les blancs dâÅufs dâun bras si énergique quâon aurait dit quâelle brassait du mortier. Elle rouspéta. Encore un fouetté quâelle raterait. La dernière fois quâelle avait entrepris un soufflé, il sâétait dégonflé sur le plat dès sa sortie du four. Elle en voulut un peu à la cuisinière qui sâétait encore soustraite à ses obligations. Mathurine se faisant vieille et ses forces déclinant, elle lui avait demandé de la remplacer, «le temps dâaller piquer une petite ronflette avant de tomber dâendormement dret là  ». Sitôt étendue sur sa paillasse, la vieille était tombée dans un sommeil profond et sâétait mise à ronfler comme une toupie dâAllemagne. Les grondements envahissaient maintenant la cuisine, les sifflements devenaient gargouillis, puis se muaient en lapements, râlements et halètements de toutes sortes.
â Elle va finir par sâavaler la langue, à ce rythme-là . Câest-ti Dieu possible, une pareille pétarade! On se demande dâoù quâelle sort ça... Faudrait peut-être la tourner sur le côté ou lui mettre carrément une muselière, à la Mathurine, vous ne croyez pas, dame Perrine? sâexclama Duchouquet qui venait de pénétrer dans la cuisine.
Il lui jeta un regard moqueur et se dirigea vers lââtre, les bras chargés de bois.
â Laissez faire la muselière. Si elle vous entendait, elle vous arracherait la langue! Tenez, son fredonnement diminue déjà .
Duchouquet gloussait dans sa barbe. Il prenait un malin plaisir à taquiner ces « créatures » qui prenaient la mouche pour des riens. Et il leur refaisait chaque fois le même théâtre. Le vieux garçon se plaisait à railler la dormeuse, mais se précipitait dans les jupes de Mathurine sitôt quâelle revenait à ses chaudrons. Il adorait la moquer et appréciait autant son sens de la répartie que son cochon de lait à la broche.
Les bruits de ronflement sâarrêtèrent dâun coup. Un silence relatif sâinstalla, ponctué du raclement furieux du fouet de Perrine, du sifflement de la bouilloire sur le feu et du bruit des bûches que Duchouquet venait dâéchapper dans la boîte à bois. Lâhomme laissa tomber un juron.
â Parmanda! Ãpargnez-nous vos gros mots, vous, vieux blasphémateur! Vous filerez dret aux enfers sans passer même par le purgatoire! rugit Mathurine en déboulant dans la pièce à lâimproviste.
Elle avait les joues rougies et lâÅil plus vif. Elle rentra ses mèches dans sa coiffe, replaça son corsage et ses jupes, puis saisit un long tablier quâelle se passa prestement autour du cou.
â Dieu du ciel, mais vous allez me transformer mes blancs dâÅufs en pâte à pain!
Mathurine se précipita sur Perrine, immobilisa le fouet dâune main et, de lâautre, plongea une cuillère dans le mélange.
â Voyez, dame Perrine, quand la cuillère tient toute seule, câest que les blancs sont suffisamment mousseux. Si on fouette plus, la mousse devient trop ferme pour gonfler Ã
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