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Frontenac_T1

Frontenac_T1

Titel: Frontenac_T1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Micheline Bail
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la chaleur.
    Et Mathurine de verser les meringues en ovales réguliers sur une plaque et de les glisser ensuite sur le feu, sous l’œil indifférent de Perrine dont la pensée était ailleurs.
    La femme de chambre n’aimait pas cuisiner et n’aurait occupé cette fonction pour rien au monde. Mais comme il fallait bien s’entraider, elle remplaçait la vieille à pied levé chaque fois que ses « endormitoires » la reprenaient. Mathurine avait bon cœur, sans compter qu’elle était un peu sa parente du côté d’Antoine, son premier mari. Et puis un service n’en appelait-il pas un autre? Perrine aurait mis sa main au feu que Mathurine savait tout de ses rapports avec monsieur Louis. En tout cas, si elle ne savait pas, elle avait certainement des doutes. Un soir où Frontenac faisait le jars à table auprès d’une jolie femme, elle lui avait soufflé à l’oreille avec une moue dédaigneuse : «Savez, les hommes, faut pas s’y fier, y sont changeants comme un ciel d’avril. » La remarque avait laissé Perrine songeuse. Mais si elle savait quelque chose, elle saurait tenir sa langue, car la cuisinière était une femme avisée qui connaissait son intérêt. Quand il avait été question d’embaucher un manœuvre pour fortifier les combles, Perrine avait tout de suite suggéré à Frontenac de prendre le fils Dumouchel, l’aîné d’une famille nombreuse et le petit-fils de Mathurine. Le jeune homme avait été agréé sur-le-champ.
    Mais la position de Perrine était précaire et elle déployait des trésors d’imagination pour éviter que sa liaison ne s’ébruite. Si elle n’avait pas remis en question ce droit de cuissage * exercé par le maître, c’est qu’elle y trouvait largement son compte. Car elle était tout sauf une victime. La vie ne l’avait d’ailleurs pas ménagée et l’avait forcée à s’affermir précocement pour survivre. Et sa complicité avec Anne Lamarque avait consolidé ce que le malheur et les mauvais coups du sort avaient déjà gravé en elle. Cette voisine libre et entreprenante avec laquelle elle s’était liée d’amitié dès son arrivée au pays l’avait profondément marquée. Anne s’était chargée de faire son éducation en l’incitant à toujours protéger ses intérêts et à profiter sans remords des meilleurs côtés de la vie. L’amour charnel hors des liens du mariage, que Perrine avait toujours considéré comme péché, devenait dans la bouche de son amie un droit dont il fallait savoir tirer parti autant qu’un homme. C’était après avoir bien intégré ces leçons que Perrine s’était enfin décidée à accepter les avances de monsieur Louis.
    â€” La voilà repartie dans ses jongleries. Donnez-moi donc la louche qui est à votre bâbord, dame Perrine, s’exclama Mathurine en lui lançant un petit clin d’œil taquin.
    La fille s’exécuta en se rappelant que c’était bien beau d’aider la cuisinière, mais que cela ne faisait pas avancer sa besogne.
    â€” Bon ben, je m’en vais faire mon ordinaire, asteure.
    Elle croisa Duchouquet qui portait Pelu dans ses bras. Le pauvre chien se mit à couiner dès qu’il comprit qu’on allait encore l’enfermer dans la cage tournante suspendue au-dessus de l’âtre.
    â€” Ça va, ça va, mon Pelu. Ça sera jamais que pour une couple d’heures, le temps de nous dorer un beau gigot. Et foi de Duchouquet, j’te garde les meilleurs os.
    Le vieux serviteur caressa le pelage soyeux, puis glissa promptement l’animal dans le cylindre, qui se mit aussitôt à tourner sous l’action de Pelu, forcé de courir pour garder son équilibre. La cage tournante entraîna dans son mouvement la chaîne reliée au moyeu, ainsi que la broche sur laquelle était enfilée la pièce de viande.
    Perrine s’en fut à grands pas vers les quartiers du maître et prit le petit escalier raide, aux moulures chantournées, qui menait à l’étage. En dépassant la fenêtre basse, elle se pencha pour voir au-dehors. Tout était blanc jusqu’à l’horizon. Mais le ciel matinal était obscurci par un

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