Frontenac_T1
Ils pénétrèrent dans la pièce et prirent place autour de la table où travaillait Callières. Celui-ci manda son interprète, fit généreusement distribuer à ses visiteurs du tabac et des pruneaux, puis rompit le silence :
â Grand chef, on me dit que tu es résolu à me parler? Oureouaré, lâami et le protégé du comte de Frontenac, tâa demandé de porter un message de paix aux cantons iroquois. Toi seul peux me dire comment les délégués réunis en grand conseil ont accueilli les propositions de notre valeureux gouverneur général. Je tâécoute.
Callières demeurait prudent. Il savait par expérience quâon ne peut contraindre un sauvage et quâil faut espérer son bon vouloir. Dâautant que Nez Coupé sâétait montré tellement déçu de nâavoir pas retrouvé Frontenac et Oureouaré à Montréal quâil avait refusé de parler sans leur présence. Ce nâétait quâà force de petits cadeaux, de marques dâattention et de cajoleries que Callières avait réussi à le dérider.
Le fier Iroquois finit par sâexécuter, non sans avoir longuement enfumé le bureau de sa pipe. Ce qui exaspéra Callières.
â Grand capitaine, les wampums que jâapporte avec moi portent le message de mes frères des Cinq Nations, articula-t-il avec hauteur. Le premier collier â et lâIroquois le tendit devant lui pour décrypter le sens caché dans lâagencement particulier des grains de porcelaine â est pour expliquer le retard de ma mission par lâarrivée à Onontagué dâune grande délégation de nos frères de lâOuest, les Outaouais. Ils sont venus enterrer la hache de guerre et ériger avec les nôtres un arbre de paix.
Le collier de porcelaine fut remis solennellement à Callières. Le gouverneur lâagréa et prit note du message, sans rien laisser paraître de son inquiétude. La défection des principaux alliés des Français était pourtant une nouvelle lourde de menaces...
Lâémissaire tendait déjà le second collier devant lui tout en poursuivant, sur le même ton sarcastique :
â Le deuxième wampum témoigne de la joie quâont eue les Anglais dâAlbany, les Hollandais, et les gens des Cinq Cantons à la nouvelle du retour du grand capitaine Oureouaré.
Et il continua dâune voix posée :
â Onontio veut rencontrer les Iroquois à Fort Cataracoui? Ne sait-il pas que le feu du conseil y est éteint et que le sol en est encore souillé de leur sang? Le troisième collier exige le prompt retour dâOureouaré et de tous les Iroquois revenus des galères. Ils ne parleront de paix que lorsquâils les verront tous assis paisiblement sur leur natte. Quant aux prisonniers français dispersés dans les autres villages, ils seront réunis à Onontagué et ils nâen disposeront que sur lâordre dâOureouaré.
Les autres colliers portaient des messages à peine plus encourageants, mais Callières fit mine de ne pas en être affecté.
â Ne croyez pas que cette réponse signifie que les Iroquois ont laissé tomber la hache de guerre, continua le délégué en fronçant les sourcils, car leurs guerriers vont persévérer contre Onontio jusquâà ce quâil leur remette tous les prisonniers.
Sur quoi il ajoute que les captifs faits sur les Français seraient néanmoins bien traités.
Callières se leva aussitôt. Il en avait assez entendu et ce sauvage lâirritait singulièrement. Il ne lui accordait dâailleurs aucune confiance.
Mais Nez Coupé poursuivit :
â Vous avez brûlé trois prisonniers et en avez fusillé plusieurs autres que vous auriez pu épargner. Vous avez été plus cruels que les Iroquois, qui nâont mangé que la moitié des prisonniers faits à Lachine. Ils ont donné la vie aux autres, et ceux qui ont été passés par le feu lâont été en représailles de vos exécutions. Voilà leur message, fit-il, en guise de conclusion.
Callières se pencha sur le délégué en pointant un doigt rageur devant son nez emplumé et lui dit, ses yeux plantés dans les siens :
â Et le père Millet, missionnaire jésuite chez les Onneiouts,
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