Frontenac_T1
amoncellement de nuages bas. à voir la texture glacée et vitreuse de la croûte neigeuse, elle supposa que le froid était mordant. Elle resserra son châle et le noua plus étroitement à sa poitrine. Dâaussi loin quâelle se souvienne, Perrine avait souffert du froid, et elle nâaurait su dire si cela était pire en France que dans ce château, ouvert comme une auberge aux quatre vents. à part la grande cuisine, réchauffée en permanence par lâimposant foyer de cuisson, toutes les pièces étaient de véritables glacières. Duchouquet sâesquintait à bourrer de bûches des âtres qui perdaient aussitôt leur chaleur par les murs, les fenêtres et les combles, transformés en passoires.
Lorsquâelle pénétra dans les appartements du maître, désertés au profit du bureau plus confortable du rez-de-chaussée, Perrine sâattendrit. Le désordre qui régnait trahissait le côté brouillon et fantaisiste du personnage. Des livres traînaient un peu partout, empilés en vrac sur une commode ou abandonnés sur le sol, devant un feu dont les braises rougeoyaient encore. Sur le pupitre de bois de cerisier reposait un lourd manuscrit ouvert par le milieu et où apparaissaient quelques ratures et des annotations écrites en marge, dâune main maladroite. Perrine supposa que Frontenac sâétait servi de sa main gauche, ce quâil faisait parfois quand il préférait se passer de Monseignat. Elle, qui nâavait jamais fréquenté lâécole et ne savait ni lire ni signer, était fascinée par lâécriture et se perdait dâadmiration devant ceux qui pratiquaient ce langage. Elle sâamusait parfois à tenter de déchiffrer ces gribouillages mais se décourageait bientôt, tant cela lui paraissait compliqué.
Elle moucha les chandelles de la lampe posée sur la crédence puis, en soupesant la cruche à vin, elle se dit quâil faudrait la remplir à nouveau. Le maître dormait peu et y recourait parfois, en fin de nuit, pour gagner quelques heures de sommeil. Elle ébaucha un sourire. Monsieur Louis lui assurait quâil nâarrivait à dormir que dans ses bras, ce quâelle refusait de croire, même si cela la flattait. Elle prit la chemise de soie laissée sur le lit et la porta à ses narines : une forte odeur de musc sâen dégageait encore. Elle adorait ce parfum.
En remettant de lâordre dans ce qui lâentourait, elle finit par découvrir sur le buffet un petit objet à moitié dissimulé par la lampe. Elle sâen saisit promptement pour réaliser quâil sâagissait dâune miniature. La peinture délicate, de petite dimension, était glissée dans un médaillon finement ciselé. Le bijou tenait dans la paume dâune main et pouvait être porté en sautoir. En lâapprochant de lââtre, Perrine distingua le buste dâune femme habillée en soldat.
«Qui est-elle, et quel commerce cette personne entretient-elle avec monsieur Louis? se demanda-t-elle, avec une trace de jalousie. Sâagit-il dâune ancienne maîtresse, dâune sÅur de Frontenac, ou de sa mère? Est-elle encore vivante ou décédée depuis belle lurette? » Elle nâavait aucun moyen de le savoir et sa curiosité sâen trouvait exacerbée. «Et si câétait son épouse, Anne de la Grange-Trianon, la belle comtesse de Frontenac? » se dit-elle encore, persuadée, cette fois, de sâapprocher de la vérité.
En poursuivant son examen, elle découvrit bientôt au bas de lâimage une fine inscription gravée dans lâor. Elle la scruta avec attention, mais nâen put rien tirer. Les lettres finement ourlées gardaient jalousement leur mystère. Elle maudit encore une fois le sort qui lâavait empêchée dâapprendre à lire.
Quelques mots gravés à lâendos du médaillon lui parurent familiers : câétait lâécriture de Frontenac. Son cÅur bondit.
â Câest certainement la Trianon!
Perrine écarta toute autre hypothèse et se replongea dans la contemplation de cette parcelle dâintimité quâelle dérobait, dâune certaine façon, à monsieur Louis.
Elle échappa un petit rire impudent et porta la main à sa bouche. Elle se fit
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