Frontenac_T1
intérieure, tantôt amplifiés tantôt étouffés par le tumulte environnant.
Sa plume dâoie était fatiguée et laissait de vilains pâtés sur le papier. Callières appliqua un buvard en maugréant et relut tout haut, pour sâassurer de nâavoir rien oublié, le long passage narrant le saccage de Schenectady :
Nos hommes marchèrent pendant des jours et des jours dans un mélange de neige fondue, de glace et de boue, dans lequel ils enfonçaient jusquâaux genoux, traînant péniblement leurs provisions sur des toboggans, pour atteindre leur objectif onze jours plus tard, peu avant minuit, dans un froid si intense quâils ne purent différer lâattaque sans risquer de geler sur place. à demi morts de fatigue, de froid et de faim, et incapables de faire du feu sans risquer dâalerter lâennemi, ils durent avancer ou périr.
Au grand étonnement de nos hommes, il nây avait pas de sentinelles devant la forteresse et les deux portes étaient restées grandes ouvertes, ce qui leur permit de pénétrer par les deux côtés et dâencercler facilement lâennemi. Au signal donné, hache et casse-tête en main, ils se jetèrent sur les habitants endormis quâils défirent presque sans opposition. Vingt-sept hommes furent faits prisonniers et une cinquantaine de chevaux furent ramenés, alors quâon laissa indemnes soixante femmes et enfants. Nos hommes épargnèrent aussi, à votre demande expresse, le nommé Alexander Glen , avec sa famille, parce quâil avait sauvé la vie de plusieurs prisonniers français tombés aux mains des Agniers.
Les sieurs dâIberville et de Manthet commandèrent les troupes avec beaucoup de savoir-faire, et la victoire leur est en grande partie imputable. Monsieur dâIberville fit des miracles pour calmer nos alliés indiens et les empêcher de torturer les prisonniers ou dâabattre ceux qui ne pouvaient pas avancer assez vite. Cette bataille ne nous coûta que deux vies, et cela aurait été un succès complet si la trentaine dâAgniers présents à Schenectady et libérés selon vos ordres nâavaient couru à Albany chercher du renfort. Avec une cinquantaine de jeunes Anglais, ils se jetèrent à la poursuite des nôtres, quâils rejoignirent tout près de Montréal. Ils tuèrent ou firent prisonniers quinze hommes, dâaprès le décompte sommaire que mâen firent mes éclaireurs.
Il sâagit tout de même dâune glorieuse victoire qui remontera certainement le moral de nos troupes.
Callières parapha puis cacheta, satisfait à lâidée de pouvoir confondre Frontenac. Il comptait sur le temps pour lui ouvrir les yeux, tout en se chargeant de lui souligner à chaque occasion les dangers de sa politique de pacification iroquoise. Mais la victoire de Schenectady nâen était pas moins manifeste et Callières se réjouissait de voir les colonies anglaises confrontées à leur tour à la guerre à lâindienne. Il nâeut aucune difficulté à imaginer la désolation et la terreur qui avaient dû sâemparer des populations de lâÃtat de la Nouvelle-York et des environs, au lendemain du pillage.
Dès son retour en poste, Callières avait fait entreprendre lâérection dâune nouvelle palissade autour de Montréal, des travaux dont il avait surveillé quotidiennement lâévolution. Les corvées avaient été distribuées et quiconque tentait de sây dérober risquait gros. Lâheure nâétait plus aux tergiversations. Il entendait faire comprendre aux civils comme aux militaires que la situation nécessitait des mesures extraordinaires et que chacun devait faire sa part pour assurer sa sécurité et celle des autres. Pour mettre en sûreté les habitations les plus dispersées, il avait fait construire dans chaque seigneurie des redoutes et des réduits faits de pieux de treize à quatorze pieds de long, afin de permettre aux soldats et aux habitants de sây réfugier. Et chaque fortin avait reçu un canon pour avertir les voisins en cas dâalerte. Les gens devaient y dormir chaque nuit, jusquâà nouvel ordre. Quant aux fameuses patrouilles volantes de Frontenac, elles servaient à repousser les attaques et à mener des incursions
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