Frontenac_T1
ressentiments et de frustrations.
Elle agita son éventail dans lâespoir de trouver un peu de fraîcheur. La touffeur de lâair lâimportunait. Sa belle robe de popeline à volants lâétouffait, car, pour avoir le plaisir de la porter une nouvelle fois malgré son léger embonpoint, elle avait dû faire lacer son corset à lâextrême. Une coquetterie quâelle commençait à regretter amèrement.
Son mari sâétait éloigné et avait engagé la conversation avec Ruette dâAuteuil, le premier conseiller au conseil souverain. Dehors, la nuit tombait doucement sur un paysage baigné de lueurs mauves. Elle chassa ses idées sombres et se remit à converser avec ses voisines, dont certaines étaient ses meilleures amies.
* * *
Geneviève Damour et Louis-Armand de Lom dâArce avaient quitté le bal en sâesquivant par la porte de côté au moment où lâattention était tournée vers le comte de Frontenac qui déclamait un poème, accompagné dâun flûtiste.
Après avoir déambulé quelque temps sur la terrasse, lâair dâinnocents promeneurs, ils avaient enfilé dans le boisé jouxtant le jardin du château. Geneviève, qui connaissait mieux lâendroit que son fougueux compagnon, avait mené le pas.
Ils couraient maintenant sur un sentier en pente en se tenant par la main pour ne pas trébucher, tout à la joie dâêtre enfin seuls. La rumeur bourdonnante de la fête sâétait dissipée quand ils décidèrent de sâarrêter au pied dâun paisible ruisseau de montagne, bucolique à souhait et propice aux échanges de serments. Un peu plus loin, à travers un repli de forêt, se devinait une magnifique vue de la basse-ville, enveloppée dâun halo de lumière lunaire. Le baron enserra la taille de sa compagne et lâattira doucement à lui. Elle sâabandonna en frissonnant.
â Vous avez froid, belle Geneviève? fit-il dans un murmure, sa bouche aux lèvres finement ourlées tellement proche quâelle sentit le souffle chaud de sa respiration se confondre à la sienne.
La Hontan la pressa tendrement contre lui. Elle sentit son propre cÅur battre à se rompre et eut peur de trahir lâexaltation qui lâenvahissait. Dans ses méditations dâamoureuse, elle avait tellement rêvé de cet instant! Elle ferma les yeux, confiante. Elle était en présence dâun gentilhomme et savait quâil ne ferait rien contre son gré.
La lueur laiteuse filtrant entre les arbres prêtait aux traits des jeunes gens une douce luminescence. Blottis lâun contre lâautre en retenant leur souffle, ils savouraient ces inestimables moments volés au temps et aux conventions sociales. Comme ils auraient aimé les éterniser...
Louis-Armand était tout retourné. Ce nâétait pourtant pas la première femme quâil tenait ainsi dans ses bras, mais cette jeune fille avait quelque chose de plus quâune exceptionnelle beauté. Il émanait dâelle une espèce de fragilité secrète, un je-ne-sais-quoi de vulnérabilité discrète qui risquait de le porter à quelque excès. Cette jeune vierge éveillait en lui de puissants instincts protecteurs. Il aurait voulu la garder ainsi à jamais sous son aile, la préserver des fureurs du monde et jeter dans un geste de pure chevalerie toute sa vie à ses pieds, en lui jurant une fidélité éternelle. Quelque chose lâen empêchait pourtant. Une autre partie de lui-même le mettait en garde contre ses emportements.
â Jâai guetté votre pas et votre silhouette pendant des jours, monsieur de La Hontan, espérant de toute mon âme que vous viendriez demander à mes parents la permission de me fréquenter. Cette intention, je lâavais pourtant lue à maintes reprises dans vos yeux. Mâétais-je trompée?
Le beau regard implorant de Geneviève brillait dâun éclat si intense que le jeune baron en fut bouleversé. Dans un élan du cÅur, il protesta :
â Non, ma douce. Vous ne vous étiez pas trompée. Je brûle du même feu pour vous que lorsque je vous ai aperçue pour la première fois dans les jardins du gouverneur. Vous étiez alors adossée à un vieux chêne, solitaire et songeuse, et jâai tout de
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