Frontenac_T1
mince affaire pour un homme qui chérissait sa liberté plus que tout.
â Le temps fera les choses, chuchota-t-il à madame Damour, en se penchant vers elle.
Il passa son bras autour des épaules de la belle quadragénaire aux chairs abondantes et lui pressa la main avec chaleur. Elle était confortablement installée dans un lourd canapé Louis XIII à motifs fleuris. Son mari, qui avait trop bu et trop mangé, était allé se délasser dans le jardin.
Elle sourit finement au gouverneur et se dégagea avec lenteur. Elle était habituée aux jeux de mains du vieux séducteur et nâen faisait plus cas. Au début, cela lâavait pourtant étonnée, même si elle connaissait la réputation du comte. Quand il lâavait embrassée fougueusement au détour dâune promenade, derrière les haies du château, elle lâavait vivement repoussé. Mais il avait ri et tourné si adroitement le compliment quâelle avait été désarçonnée malgré elle, tout en sâarrangeant dès lors pour éviter de se trouver seule avec lui.
Cette fois-ci, il ne sâagissait pas dâelle mais de sa fille, qui était toute retournée depuis quelque temps. Dâenjouée et bavarde quâelle était, Geneviève était devenue songeuse, silencieuse et languissante. Elle sâimposait chaque jour de longs guets depuis sa fenêtre dans lâespoir de surprendre à la dérobée la silhouette de lâélégant baron. Et il nâétait pas de semaine sans que la pauvre enfant demande à son père, qui côtoyait Frontenac et ses amis, quand il y aurait bal au château et si elle serait des invités.
La belle dame voyait bien que le cÅur de sa fille brûlait dâamour et sâen inquiétait. Non pas quâelle sâopposât à ce penchant â le jeune baron de La Hontan était un parti avantageux que nâimporte quelle mère aurait souhaité pour sa fille â, mais le prétendant, malgré des regards fiévreux et de fougueux empressements à lâégard de Geneviève, ne sâétait pas encore déclaré. Câétait pourtant la quatrième fois quâils dansaient, avec une exaltation et une joie de se retrouver qui ne trompaient pas. On commençait à médire sur le couple et les enchères sur leur mariage prochain sâintensifiaient. Il fallait que le soupirant se présente enfin chez elle pour demander officiellement le privilège de fréquenter Geneviève. Autrement, en mère avisée, elle se verrait obligée de les empêcher désormais de se voir, afin de protéger Geneviève de la calomnie et de la risée publique.
â Faites-moi confiance, ma chère, je travaillerai habilement le jouvenceau et lui ferai miroiter les avantages quâil y a à épouser votre fille. Le fruit est mûr et tombera bientôt...
Frontenac serra à nouveau la main de madame Damour en approchant son visage du sien. Puis il plongea un regard allumé dans le splendide corsage. Cette fois, la belle dame ne bougea pas. Elle soutint les avances du gouverneur et se mit à rire un peu fort quand il commença à psalmodier, à mi-voix, un poème grivois et tendre sur la beauté des gorges rebondies et palpitantes. Il ne lui déplaisait pas tant, après tout, de se faire ainsi conter fleurette, surtout que le vieux libertin avait le ton et la manière et quâil était bien placé pour favoriser le mariage de sa fille.
â Madame veut-elle encore des dragées? fit Perrine, qui glissa sans prévenir un long plat de bonbons sous le nez de la belle Damour.
Louis dut retraiter vivement pour ne pas être écorché au passage. La domestique se tenait toute frémissante et présentait ses douceurs sans bouger, lâair gauche.
â Non, non, ma fille, merci, fit madame Damour, tout en repoussant le bras de la servante.
Celle-ci sâinclina et tourna les talons en lançant au comte un regard qui valait mille mots. Louis fit mine de rien, mais la suivit néanmoins des yeux un long moment, amusé. Ãtait-elle jalouse?
Comme Louis se devait à ses invités, il sâexcusa auprès de madame Damour et sâéloigna. Non loin de là , quelques dames échangeaient gaiement. Il sâapprocha du siège occupé par lâépouse de
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