Funestes présages
roseraie. Au fond se trouvait un bâtiment à colombages aux poutres noires et au plâtre blanc. À l’intérieur, le parquet ciré brillait sous le pâle soleil matinal. De petites pièces chaulées formaient le rez-de-chaussée de l’hôtellerie. Frère Perditus leur signala qu’on pouvait leur servir des repas dans celle qui faisait office de réfectoire. Il leur fit gravir l’escalier de bois. Les murs étaient décorés de tableaux et de tentures de couleur. Un crucifix était suspendu dans le puits de l’escalier et de petites statues se dressaient dans des niches. Une sculpture représentant un homme des bois, les yeux exorbités et montrant les dents, avait aussi été appendue, d’une façon plutôt incongrue, sur le mur. Corbett sourit en pensant qu’elle aurait effrayé sa petite Aliénor et que, sans nul doute, sa présence jurait avec la sérénité et le calme de l’endroit. L’étage était une galerie cirée avec de larges meurtrières d’un côté et les portes des chambres de l’autre. Perditus montra la première au clerc.
— Il y a une clé à l’intérieur, précisa-t-il. On peut aussi barrer l’huis.
Embarrassé, il cilla.
— Bien qu’une telle protection soit inutile dans une abbaye !
Puis il conduisit Ranulf et Chanson dans la pièce qui leur était réservée. On avait déjà déposé les bagages de Corbett sur le petit coffre au pied du lit. Le magistrat s’empressa d’en vérifier boucles et courroies ; elles n’avaient pas été touchées. Il embrassa du regard les murs chaulés et la fenêtre à meneaux qui ouvrait sur la cour. Elle était munie de verre épais et d’un petit battant treillissé qu’on pouvait clore de l’intérieur. Le lit, long et étroit, était garni de couvertures de laine grise, de draps de toile blanche apprêtée et d’oreillers. Corbett tâta le matelas ; il était épais et souple.
— Sans doute de la plume, murmura-t-il.
Le reste du mobilier était simple, mais joliment sculpté. Sous la fenêtre se trouvait une table, et une autre, plus petite, près du lit. On pouvait aussi disposer d’une chaire, de tabourets, de coffres et d’une grande armoire. Le clerc pendit son ceinturon à une patère fixée au mur. Il ôta ses éperons de la poche de sa chape et les posa sur le rebord de la fenêtre, délaça sa cape et ouvrit sa chemise. Puis il s’assit au bord du lit pour enlever ses bottes. Il ferma les yeux en sentant s’apaiser la tension et les crampes dues à sa longue chevauchée. Dans un coin se trouvait un petit lavarium de bois, un broc, une cuvette et des chiffons bigarrés. Corbett alla se laver mains et visage tout en prêtant à moitié l’oreille aux bruits venant de la galerie. Frère Perditus frappa et entra.
— Messire le prieur vous invite à vous joindre à nous à l’église. Il aimerait que vous soyez son hôte au réfectoire. Sinon, vous pouvez prendre votre repas soit ici soit en bas.
— Vous pleurez encore cette mort, n’est-ce pas ? demanda le clerc. Entrez donc.
Il désigna un tabouret.
Le magistrat ne savait que penser de l’abbaye. Tout y était propre, serein, ordonné et harmonieux. Les frères vaquaient à leurs devoirs. Le prieur avait protesté, mais il semblait honnête et compétent. Frère Perditus était l’hôte et le guide idéal. Pourtant Corbett pressentait un danger, ce qui lui hérissait le poil. Un jour, alors qu’il était soldat au pays de Galles, il avait débouché dans une clairière baignée de soleil. Des papillons virevoltaient dans la brise et l’air embaumait les fleurs sauvages. Des ramiers roucoulaient et des oiseaux chantaient. Mais, au-delà de la clairière, il avait senti qu’étaient cachés de terribles périls. L’un de ses compagnons avait plaisanté et changé soudain d’avis quand de redoutables flèches empennées avaient sifflé au-dessus de leurs têtes. « C’est la même chose céans », se dit Corbett. Le lac pouvait paraître calme en surface, mais il s’interrogeait sur sa profondeur et sur les pièges que recelaient ses eaux dormantes.
Perditus était assis, tête basse, les mains glissées comme il se doit dans les manches de sa bure et, patient, attendait, prêt à répondre aux questions que Corbett voudrait bien lui poser.
— Vous êtes frère lai ?
— Oui, Messire. Depuis quatre ans.
— Et vous étiez le serviteur personnel de l’abbé ?
— En effet, Messire.
— L’appréciiez-vous ?
— Je
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