Funestes présages

deux ou trois pour préparer un trou comme celui-ci et le reboucher rapidement.
    Le magistrat n’attendit pas d’autres questions et partit d’un bon pas. Chanson et les montures sellées patientaient près du portail principal. Un frère lai l’ouvrit. Ils le franchirent, mais, au lieu de rejoindre la grand-route, Corbett longea la muraille. Il fut fort soulagé de découvrir le Gardien accroupi près de sa masure.
    — Il a sans doute bu beaucoup et jusqu’à une heure avancée, commenta-t-il. Sinon il aurait ouï l’agitation et se serait enfui.
    Salyiem se leva à l’arrivée de Corbett.
    — Bonjour, Sir Hugh.
    Il contempla la chape constellée de fange du magistrat.
    — Avez-vous voyagé loin ?
    — Nenni, Maître Salyiem. J’ai creusé un trou ! Le tumulus de Bloody Meadow contenait les restes de Sir Reginald Harcourt, mort assassiné.
    Le Gardien eut l’air terrorisé et recula. Si Ranulf n’avait pas fait avancer son cheval vers lui, il aurait détalé.
    — Mais Sir Reginald...
    Les mots moururent sur ses lèvres quand il leva les yeux vers le visage sévère du clerc.
    — Allons, bonhomme, déclara Corbett en tendant la main, je pourrais vous faire arrêter et vous traîner à la queue de ma monture...
    L’ermite ferma les yeux et se signa promptement.
    — Montez en croupe !
    L’homme n’eut pas d’autre choix que d’accepter. Il se hissa avec peine derrière le magistrat et passa les bras autour de sa taille. Corbett comprit à quel point il avait peur à ses halètements et à ses tremblements.
    — Où allons-nous ? s’enquit Salyiem d’une voix rauque.
    — Vous le savez fort bien.
    Corbett lança sa monture au petit galop, fit demi-tour et rejoignit le chemin. Ils parvinrent à Harcourt Manor en peu de temps. Ils ne s’arrêtèrent qu’une fois, à l’emplacement dans la forêt où on leur avait tendu une embuscade. Hormis la terre retournée et quelques flèches brisées, tout signe du sanglant combat avait disparu. Le manoir, quant à lui, était calme. Des palefreniers s’avancèrent pour prendre leurs montures. Pendler, l’intendant, soufflant et haletant, accourut.
    — Je veux voir Lady Margaret sans délai, lança Corbett en aidant l’ermite à mettre pied à terre.
    Pendler jeta un coup d’oeil à Salyiem qui fit un signe de tête, le teint aussi blanc que la neige qui couvrait encore les buissons flanquant l’entrée principale.
    Le magistrat descendit de cheval et monta les marches d’un bond. Ranulf et Chanson, encadrant le Gardien, le suivirent. Corbett était sur le point de frapper quand l’huis s’ouvrit à la volée. Lady Margaret, vêtue d’une robe bleu foncé, sa guimpe blanche recouverte d’un capuchon fourré, les accueillit.
    — Eh bien, Sir Hugh, je m’apprêtais à sortir.
    Elle serrait une canne dont elle tapait le sol.
    — Que désirez-vous ?
    — J’ai des nouvelles de votre époux, Sir Reginald. Je ne sais comment vous l’annoncer, Madame. Il n’était point parti pour un port de l’Est. Nous avons découvert ses restes dans le tertre funéraire de Bloody Meadow.
    Lady Margaret vacilla. Corbett se hâta de la retenir. Elle baissa la tête, suffoquant comme si elle ne pouvait plus respirer et, quand elle leva les yeux, le clerc fut saisi par son soudain changement. Son visage – peau tendue sur ses hautes pommettes, yeux hantés et terrifiés – semblait avoir fondu. Pendler se rua en haut de l’escalier.
    — Qu’y a-t-il, Madame ?
    Agrippant le bras de Corbett, elle se contenta de lever sa canne pour lui faire signe de s’en aller.
    — Vous feriez mieux d’entrer.
    Elle prit une profonde inspiration, repoussa le bras du magistrat et les conduisit dans la petite pièce. Corbett s’installa à la même place que la fois précédente. Lady Margaret, serrant toujours sa canne, s’assit en face de lui. Les trois autres entrèrent à leur suite et Corbett, d’un signe de tête, leur désigna le coussiège.
    — Voulez-vous un peu de vin, Madame ?
    — Non. Parlez-moi de Sir Reginald. Vous dites avoir trouvé sa dépouille ? Comment est-il mort ?
    — Il a été assassiné, Madame.
    — Par qui ?
    — Nous le savons tous deux, Madame.

 
    Chapitre 13
    Omnibus ignotae mortis timor .
    Tout le monde redoute la mort soudaine.
    Ovide
    Lady Margaret ne broncha pas. Elle resta là, agrippant sa canne, fixant le maigre feu où les flammes crachotaient autour des bûches encore un peu