Funestes présages
présent, était tout à fait terrorisé. De chaque côté du chemin les arbres se dressaient comme des sentinelles fantomatiques enveloppées d’un brouillard mouvant qui s’ouvrait sur les ténèbres. De temps à autre, de légers froissements montaient du sous-bois ou le chant solitaire d’un oiseau déchirait le silence. Chanson tira un couteau de son ceinturon et le glissa dans le bracelet de cuir qui enserrait son poignet droit. Ils prirent un tournant. Ranulf soupira presque de soulagement : cinq ombres se tenaient au milieu du sentier, flèches encochées dans les arcs. Il avait pensé que l’attaque serait soudaine, mais les assaillants les attendaient.
— Ne ralentis pas ! chuchota-t-il. Garde la même allure.
Le palefrenier obtempéra. Ils avancèrent. Seul le martèlement des sabots de leurs montures rompait le silence. La rangée d’hommes sur le chemin hésita.
Ranulf eut un sourire désabusé : c’était la plus vieille des ruses connues. Leurs agresseurs avaient escompté qu’ils s’arrêteraient une fois à portée de tir, voire qu’ils mettraient pied à terre. Ranulf pressa son cheval.
— Restez où vous êtes ! cria une voix.
— Continue ! intima le clerc à Chanson.
Ce dernier obéit, ne retenant sa monture que lorsqu’une flèche siffla au-dessus de sa tête.
— Que voulez-vous ?
Ranulf se dressa sur les étriers et jeta un coup d’oeil aux alentours. Parfait ! Il n’y avait personne dans les arbres sur le côté.
— Vos chevaux, vos armes, votre argent ! Vous pourrez ensuite retourner à l’abbaye en chemise !
Ranulf, tête baissée comme s’il examinait cette proposition, posa la main sur le pommeau de son épée.
— En avant, Chanson !
L’écuyer enfonça ses éperons. Son cheval bondit et l’épée du clerc jaillit de son fourreau. Chanson empoigna son couteau. Les attaquants avaient relâché leur attention et baissé leurs arcs. Avant même qu’ils comprennent leur erreur, il était trop tard. Les deux cavaliers s’étaient jetés sur eux. Chanson lança son poignard. L’un des hommes le reçut en pleine bouche. Ranulf en faucha un autre à l’épaule et se retourna juste à temps pour porter un second coup à celui qui se trouvait sur sa droite. Chanson aurait volontiers pris le galop, mais son compagnon fit pivoter son cheval et revint à la charge. Il ne restait qu’un seul archer ; l’autre s’était enfui dans la forêt. Ranulf mit sa monture à contribution et l’homme s’effondra sous les lourds sabots. Ranulf fit demi-tour en caressant la bête et en lui murmurant des mots rassurants. Quatre corps gisaient sur la route. Il mit pied à terre et tira sa dague. Deux des hommes étaient déjà morts. Il coupa la gorge des blessés, sans tenir compte des suffocations horrifiées de Chanson.
— Eh bien, que suis-je censé faire ?
Il s’accroupit pour essuyer le sang de son poignard sur le justaucorps de l’un des assaillants.
— Leurs blessures sont graves, il gèle et, même si nous les ramenions à l’abbaye, à quoi bon les soigner ? Ils ont attaqué les envoyés du roi : c’est trahison ! Au moins, ils sont morts rapidement.
Il ordonna à Chanson de rassembler les armes, mais, après les avoir examinées, ne garda qu’une lame et jeta les autres dans les ténèbres.
— Maître Talbot les enterrera, dit-il à voix basse. Bon, voyons ce qu’ils possèdent.
L’écuyer ouvrit leurs besaces et en vida le contenu dans sa main. Il mit les pièces dans son escarcelle, mais poussa un cri de surprise et leva ce qu’il venait de trouver vers la faible lumière.
— Qu’est-ce ? s’enquit le palefrenier.
— Un sceau, déclara son compagnon en l’examinant de plus près. Le sceau de St Martin-des-Marais. Mais pourquoi un hors-la-loi, un malandrin, a-t-il un cachet comme celui-ci ? Il n’a aucune valeur. Donc c’est soit un souvenir soit...
— Soit quoi ?
— Quelque chose comme une licence ou un mandat. On le montre à quelqu’un qui le reconnaît et vous laisse passer. Ne serait-ce pas un signe ?
— Voulez-vous dire que ces coquins traitaient des affaires avec l’abbaye ?
— C’est possible, admit Ranulf. Peut-être laissaient-ils les moines en paix en échange d’une certaine somme. Qu’ils leur permettaient d’aller et de venir sans les molester.
Il se releva et contempla les cadavres qui se rigidifiaient. Une chouette hulula au fond des bois. Chanson tenta de maîtriser ses
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