Funestes présages
son de leurs pas.
— Je serais heureux de quitter cet endroit, murmura Ranulf. Messire, est-ce indispensable ?
Corbett ne lui répondit pas. Ils parvinrent au réfectoire aux fenêtres illuminées : les moines se préparaient à dîner. Ils descendirent les marches. Ranulf découvrit un brasero vide empli de torches et en alluma deux. Corbett marchait en tête. De nuit, le couloir ressemblait à un tunnel souterrain et le magistrat se remémora les contes que sa mère lui narrait à propos d’un étrange royaume mythique qui s’étendait sous la terre. Il gelait. Ranulf s’arrêtait régulièrement pour allumer les lumignons. Ils finirent par arriver à la dernière pièce. Le magistrat enflamma des torches supplémentaires et, ôtant la toile, s’accroupit pour regarder la mosaïque.
— Pourquoi est-ce si important ? insista l’écuyer.
Son maître abaissa sa torche.
— Parce que c’est la seule chose extraordinaire dont nous disposions au sujet de l’abbé Stephen. Il venait souvent ici pour la contempler. Il reproduisait souvent ce dessin – je me demande bien pourquoi. Il y a quelque chose de très familier dans cette mosaïque, mais quoi ? Cela m’échappe. Et à toi, Ranulf ?
Son serviteur, à genoux, examina le moyeu, les rayons, la jante, les bizarres silhouettes décoratives placées dans chaque coin.
— Qu’est-ce que c’est ?
Chanson était au pied des marches et scrutait le couloir. Ranulf se releva d’un bond. La cave était froide, mais il avait conscience d’un danger, comme dans une ruelle de Londres, où, même si elle était sombre et paraissait déserte, il sentait la présence d’un larron tapi sous un porche ou dans un boyau étranglé. Il se fiait aussi à l’ouïe fine de son compagnon.
— J’ai entendu quelque chose, avertit Chanson. Un glissement de bottes ?
Corbett, inquiet maintenant, les rejoignit. Il monta l’escalier et jeta un coup d’oeil dans la galerie avec ses lueurs vacillantes et ses ombres dansantes.
— C’est fort imprudent, chuchota Ranulf.
Le magistrat acquiesça et se maudit. Il n’avait pas respecté la première règle. Personne ne savait où ils étaient et il n’y avait pas d’autre issue sauf à reprendre cet inquiétant tunnel souterrain.
— C’est peut-être un moine ? suggéra Chanson d’une voix peu convaincante.
— Si c’était le cas, répondit Ranulf, il aurait vu notre lumière et se serait annoncé.
Il fit reculer son maître.
— S’il s’agit d’un homme seul, souffla-t-il, alors il doit avoir arc et flèches. Nous formons des cibles idéales dans la lumière. Un bon archer, un maître archer, pourrait nous atteindre tous les trois.
Corbett tira son épée.
— Nous nous trompons peut-être. C’est ma faute, Ranulf, je vais aller voir ce qui se passe.
Son écuyer le retint.
— Non. Je préfère affronter un ennemi que le courroux de Lady Maeve.
Il lui adressa un sourire par-dessus son épaule.
— De toute façon je suis plus leste que vous.
Il dégaina son épée et monta les marches. À droite s’ouvraient les voûtes et les resserres. Il plissa les yeux pour accommoder sa vue. Il était prêt à bondir, aux aguets. Entendant un bruit, il ne demanda pas son reste. Il rebroussa chemin en toute hâte et faillit dégringoler les marches, tandis que, quelque part dans le couloir, vibrait un grand arc. Le trait siffla dans l’air et vint heurter le mur au-dessus des trois hommes.
Ranulf se releva.
— J’avais raison. Il n’y a qu’un archer, mais un bon. Si nous tentons d’emprunter ce passage, il nous abattra les uns après les autres.
— Nous pourrions attendre, proposa Chanson. Il y a des provisions ici : quelqu’un finira bien par descendre.
— Peut-être pas avant des heures, rétorqua le magistrat.
Il embrassa la cave du regard et aperçut les plateaux en bois.
— Viens, Ranulf, vite ! s’exclama-t-il en les montrant du doigt.
— Qu’allons-nous faire ?
— As-tu déjà emporté d’assaut un château et vu des hommes utiliser un bélier contre un portail ?
— Ah, un mantelet ! expliqua Ranulf en attrapant Chanson par le bras.
Ils prirent un plateau et le retournèrent.
— Il a environ six pieds de haut et est assez étroit pour passer dans le couloir. L’archer pourrait viser nos pieds, les avertit Corbett, alors faites-le glisser sur le sol et accroupissez-vous.
Disposant le plateau de façon que les planches fassent front, Ranulf et
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