Funestes présages
coup d’oeil dehors. Les flèches enflammées avaient causé de l’effroi, mais ce n’était sans doute qu’une méchante plaisanterie. Il revint vers le pupitre. Une des chroniques qui décrivaient les diaboliques déprédations de Geoffrey Mandeville ne mentionnait-elle pas comment le comte pervers signalait toujours son arrivée par des traits ardents ? Alors, s’il ne s’agissait ni de son fantôme ni d’un démon, qui lâchait ces flèches de feu sur St Martin-des-Marais ?
— Je ne dois pas me laisser distraire ! Je ne dois pas me laisser distraire ! murmura frère Francis.
Il devait aussi être prudent. Les deux portes de la pièce étaient fermées et verrouillées et les fenêtres à treillis closes, poignées baissées. Le moine alla vérifier les meurtrières. En été on aurait ôté les volets extérieurs afin de profiter de la lumière. Mais en cette saison, bien sûr, ils étaient hermétiquement fermés. Frère Francis prit sa canne de frêne et tapa sur chacun, tour à tour, pour s’en assurer. Attiré par la blanche page lisse et crémeuse, il revint au morceau de vélin disposé sur son pupitre. Il s’assit, prit une plume, nota le nom de l’abbé Stephen et trois mots : « à la romaine ? » Il contempla ce qu’il venait de marquer. Les meurtres, pensa-t-il, avaient commencé avec le trépas de l’abbé. Quelle était donc l’étincelle qui avait mis le feu aux poudres ? Que savait-il de l’abbé ? Un ancien chevalier, le bon compagnon de Sir Reginald Harcourt. L’homme qui n’avait aidé Lady Margaret à rechercher son époux que pour revenir passer le reste de sa vie dans la communauté de St Martin.
— Je suis sûr d’avoir vu ça quelque part, chuchota-t-il.
Il se leva et se dirigea vers une étagère. Des années auparavant, il avait trouvé là un livre d’heures – ou peut-être un psautier – qui contenait un poème calligraphié avec soin. Il s’en était soudain souvenu plus tôt dans la journée et avait commencé ses recherches alors que la bibliothèque bourdonnait encore d’activité. Bien qu’il se fût servi de l’index, il n’avait pu trouver trace du volume. Les frères s’étaient montrés curieux quand leur archiviste avait sorti un livre après l’autre. Frère Francis aperçut un mince ouvrage, le prit et en caressa la couverture de peau ornée de cabochons de verre. Il ouvrit les pages jaunes et craquantes et fit une grimace de déception. Ce n’était pas le bon ! Il en trouva deux autres qu’il apporta à son pupitre. Il s’apprêtait à continuer quand l’un des volets battit. L’archiviste maudit le vent machinalement et poursuivit son travail. Le bruit s’amplifia. Frère Francis se leva et se hâta dans la galerie vers la meurtrière aménagée entre deux fenêtres à treillis. Bang ! Bang ! Comme c’était agaçant ! Il s’empara de sa canne, prit une lanterne et regarda de plus près. Un courant d’air froid le surprit. Il déposa la lanterne sur une table et lança un coup d’oeil par la meurtrière. Le volet s’était détaché. Il était sur le point de tourner les talons, fort mécontent, quand la flèche, tirée de l’extérieur par un archer, passa par la fente et le frappa en pleine poitrine. Il tituba en arrière, en agrippant le trait et en crachant du sang. Il tomba sur les genoux et s’effondra sur le dur plancher de bois.
— Ainsi le prieur Cuthbert ne voulait pas seulement une nouvelle hôtellerie ?
Ranulf regarda son maître assis sur le lit et adossé aux oreillers.
— Oh, non ! répondit ce dernier en hochant la tête.
Frère Dunstan avait quitté les deux hommes, qui racontaient ce qu’ils avaient appris.
— Je me suis promené autour de l’église, expliqua le magistrat. Chaque grand établissement religieux, que ce soit Cantorbéry, Walsingham, Glastonbury ou même l’abbaye de St Paul, possède ses reliques. Pas St Martin. Les gens voyagent dans toute l’Europe pour rendre hommage à la lance qui a percé le flanc du Christ, à une fiole de Son précieux sang ou au linge qui a essuyé Sa face. Ranulf, tu sais aussi bien que moi que la plupart de ces reliques sont fausses et que nous sommes de plus en plus nombreux à nous montrer moins crédules.
Il sourit.
— La relique la plus rentable est un cadavre. Regarde les revenus que reçoit Cantorbéry parce qu’elle détient les restes de Thomas Becket. Le prieur Cuthbert voulait sans nul doute construire son
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