Furia Azteca
saleté, j'allais l'éliminer dans notre petit bain de vapeur, le temazcalli. Matin et soir, je me nettoyais les dents avec un mélange de miel d'abeilles et de cendres. quant à me compromettre, je ne connaissais personne, sur l'île, qui e˚t une femme de mon ‚ge et de toute façon, les garçons n'admettaient jamais les filles dans leurs jeux.
Ces prêches de père à fils n'étaient qu'un récitatif machinal transmis, de génération en génération, tout comme le discours de la sage-femme à ma naissance. Ce n'était qu'en ces occasions que mon père Tepetzalan parlait longtemps ; il était plutôt d'une nature taciturne. Dans la carrière, le bruit incessant empêchait de parler et à la maison, le bavardage continuel de ma mère ne lui laissait guère de chance de placer un mot. Cela lui était 37
égal. Il préféra toujours l'action à la parole et il m'enseigna bien plus de choses par son exemple que par des paroles toutes faites. Mon père ne manquait aux qualités que l'on attend de nos hommes - force, bravoure, etc.
- que lorsqu'il se laissait rabrouer et houspiller par ma Tene.
Ma mère était la moins représentative des femmes de sa classe : la moins modeste, la moins docile, la moins effacée. C'était une terrible virago, le tyran de notre petite famille et la hantise des voisins. Mais elle se piquait d'être un modèle de perfection féminine, aussi vivait-elle dans un état de mauvaise humeur permanente envers tout ce qui l'entourait. Si j'ai jamais appris quelque chose de ma Tene, c'est bien de ne jamais être content de moi.
Je ne me souviens d'avoir subi un ch‚timent corporel de la part de mon père qu'en une seule occasion, et je l'avais bien mérité. On autorisait et on encourageait même les garçons à tuer des oiseaux comme les corbeaux et les mainates qui venaient picorer dans nos jardins. Nous le faisions à l'aide de pipes en roseau qui projetaient de petites boules d'argile. Mais un jour, m˚ par quelque mauvaise malice, je lançai une boule à la petite caille apprivoisée que nous gardions chez nous. (La plupart des familles avaient de tels animaux pour chasser les scorpions et autres vermines.) Puis, pour aggraver mon crime, j'essayai de rejeter ce méfait sur mon ami Tlatli.
Mon père ne fut pas long à découvrir la vérité. Alors que le meurtre de l'inoffensive caille aurait pu ne pas être trop sévèrement ch‚tié, ce n'était pas le cas pour le péché de mensonge, strictement interdit. Mon Tête dut m'infliger la punition prescrite quand " on crachait bile et venin
". C'est ainsi qu'on appelle les mensonges. Il fit lui-même une grimace en me transperçant la lèvre inférieure avec une épine de maguey et il l'y laissa jusqu'à l'heure du coucher. Ayya ouiya, douleur, honte, douleur, larmes de remords, douleur !
Cette punition me laissa une impression si durable que je l'ai consignée à
mon tour dans les archives de notre
pays. Si vous avez vu notre écriture, vous devez avoir remarqué ces figures de personnages ou autres créatures pourvus d'un petit signe symbolique en forme d'arabesque. Ce symbole représente un nahuatl, c'est-à-dire une langue, ou encore, langage, discours, son. Il signifie que la figure parle ou émet un bruit quelconque. Si le nahuatl est plus recourbé que de coutume, en goutte d'eau, et accompagné d'un symbole de papillon ou de fleur, c'est que la figure dit des poésies ou chante. quand je devins scribe, à mon tour, j'ajoutai un détail à notre écriture : le nahuatl percé
d'une épine de maguey, et tous les scribes l'adoptèrent bientôt. quand on voit ce symbole devant une figure, on sait que c'est la représentation de quelqu'un qui ment.
Les ch‚timents infligés plus fréquemment par ma mère étaient distribués sans hésitation, sans scrupules et sans pitié ; je la suspecte même d'avoir pris un certain plaisir à me faire mal. Cela n'a peut-être pas laissé de trace dans l'écriture de mon pays, comme le symbole de l'épine, mais cela a certainement affecté mon histoire personnelle et celle de ma sour. Une nuit, je me souviens avoir vu ma mère fouetter jusqu'au sang le postérieur de ma sour avec un paquet d'orties parce qu'elle s'était rendue coupable d'impudeur. Il faut dire que chez nous, l'impudeur n'a pas forcément le même sens que pour vous, hommes blancs : l'exposition indécente d'un corps dénudé.
En fait de vêtements, les enfants des deux sexes allaient totalement nus, quand le temps le
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