Furia Azteca
Jésus-Christ, notre Seigneur, éclaire toujours Sa Majesté Charles quint, Empereur de droit divin.
Très Auguste Majesté.
Votre Majesté nous ordonne de continuer à lui envoyer la suite de la soi-disant Histoire des Aztèques au fur et à mesure de sa rédaction. Votre dévoué chapelain en est profondément étonné et offensé, Sire. Jamais nous ne songerions, pour tout l'empire du monde, à contester les décisions et les souhaits de Votre Majesté. Mais nous pensions avoir bien fait comprendre nos objections dans notre précédente lettre, envers une chronique qui devient chaque jour plus détestable et nous aurions souhaité
que les recommandations du propre évêque délégué par Votre Majesté ne restent pas lettre morte.
Nous connaissons l'intérêt que Votre Majesté accorde aux plus infimes détails qui concernent ses sujets, même les plus éloignés, afin qu'elle puisse en tirer profit dans son sage gouvernement. Du reste, nous avons respecté ce souci digne d'éloges depuis la toute première mission que Votre Majesté nous a personnellement confiée : l'extermination des sorcières de la Navarre. Cette province, jadis en dissidence, est devenue, depuis cette sublime et extraordinaire purification par le feu, l'une des plus obéissantes et des plus soumises de tout l'empire de Votre Majesté. Votre humble serviteur déploiera une égale ardeur à déraciner les maux ancestraux de ces nouvelles provinces - en extirpant le vice et en stimulant 45
la vertu - les soumettant ainsi ˘ l'autorité de Votre Majesté et de-la Sainte Croix.
Aucune entreprise au service de Votre Majesté ne pourrait être envisagée sans avoir d'abord reçu la bénédiction divine. Il est certain que Votre très puissante Seigneurie doit être au courant de ce qui concerne ce pays, car il est si immense et si merveilleux que Votre Majesté peut tirer autant de fierté à en être l'empereur, qu'il l'est d'être celui de l'Allemagne qui, gr‚ce à Dieu, est maintenant en sa possession.
Néanmoins, en relisant la transcription de l'histoire de ce qui est maintenant la Nouvelle-Espagne, Dieu seul sait combien nous avons été
dégo˚tés et écourés par les débordements intarissables du narrateur. Cet Aztèque est comme un …cole aux vents inépuisables. Il n'y aurait pas eu à
s'en plaindre s'il s'était cantonné à ce que nous lui demandions, c'est-à-dire un récit à la manière de Saint Grégoire de Tours ou des autres historiens classiques - avec les noms des personnages en vue, de brefs résumés de leurs carrières, les dates, les lieux, les batailles les plus importants, etc.
Mais il est impossible d'empêcher ce torrent humain de divaguer vers les aspects les plus sordides et les plus repoussants de son histoire personnelle et de celle de son peuple. Vous me direz que cet Indien était un paÔen avant son récent baptême. Il faut être indulgent pour les atrocités qu'il a commises et dont il a été témoin dans sa vie passée, alors qu'il ignorait encore la morale chrétienne. Mais maintenant, c'est un Chrétien, du moins de nom. S'il doit s'appesantir sur les épisodes les plus crus de sa vie, on pourrait espérer de lui qu'il manifeste un humble repentir vis-à-vis des horreurs qu'il raconte avec tant de complaisance.
Ce n'est pas le cas. Il ne voit aucune infamie dans ces énormités. Il ne rougit même pas de toutes les offenses à Notre Seigneur et à la pudeur, qu'il déverse dans les oreilles de nos distingués frères-scribes : idol
‚trie, pratiques magiques, superstitions, massacres, carnages, actes obscènes et contre nature, et d'autres péchés si bas que je ne les nommerai même pas. A moins que Votre Majesté n'ordonne que " tout soit dit en détail
", nous
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n'autoriserons pas nos scribes à confier certaines parties du récit de l'Aztèque à l'éternité du parchemin.
Toutefois, votre serviteur, Majesté, n'a jamais désobéi à un ordre royal.
Nous nous efforcerons de voir dans les radotages malsains de l'Indien, le témoignage des tentations et des épreuves que le Malin a mis sous ses pas pendant sa vie et que Dieu a voulu, afin de fortifier son ‚me. Rappelons-nous que ceci est bien une preuve de la grandeur divine, car II choisit aussi bien les faibles et les simples d'esprit que les sages et les puissants, pour être les instruments et les bénéficiaires de Sa grande bonté. Souvenons-nous que la loi de Dieu nous oblige à être plus tolérants envers ceux chez qui le
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