Furia Azteca
d'une part, il parlait un nahuatl correct et d'autre part, il ne louchait pas et je n'aurais pas pu avoir confiance en un médecin affligé de strabisme.
Il ne me t‚ta pas le pouls, il n'invoqua pas les dieux et ne se servit d'aucune méthode magique pour établir son diagnostic. Il commença par m'injecter dans les yeux des gouttes de camopalx˚iuitl pour dilater mes pupilles et pouvoir mieux m'examiner. En attendant que le produit fasse son effet, je lui parlai - peut-être pour calmer ma nervosité - du prétendu docteur Maash et des circonstances de la maladie et de la mort de Dix.
" C'est la fièvre du lapin, me répondit le docteur Ah Chel, en hochant la tête. Vous avez eu de la chance qu'aucun autre d'entre vous n'ait touché
cette bête malade. Cette affection n'est pas mortelle en soi, mais elle affaiblit tellement la personne qui en est atteinte que celle-ci succombe à
un autre mal qui engorge les poumons d'un liquide épais. Votre esclave s'en serait peut-être tiré si vous l'aviez descendu dans un endroit moins élevé
o˘ il aurait pu respirer un air plus riche. Et maintenant, voyons un peu notre affaire. "
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II prit un cristal translucide, qui venait, sans aucun doute, de l'atelier de maître Xibalb‚ et scruta attentivement mes yeux. A la fin, il se rassit et me dit simplement : " Jeune Ek Muyal, je ne vois rien qui affecte vos yeux.
- Comment rien ? " Je commençais à me demander si Ah Chel n'était pas, lui aussi, un charlatan comme le docteur Maash et je maugréai entre mes dents :
" Je n'ai rien, sauf que je ne vois rien à plus d'une longueur de bras.
Vous appelez ça rien ?
- J'ai voulu dire que vous n'avez aucune maladie, ni aucun trouble qui puisse se soigner. "
Je proférai alors un des jurons favoris de Gourmand de Sang, en espérant que le grand dieu Huitzilopochtli en grimacerait de douleur. Ah Chel me fit signe de l'écouter jusqu'au bout.
" Vous voyez flou à cause de la forme de votre oil, qui est ainsi de naissance. Toute anomalie dans la forme du globe oculaire trouble la vision exactement comme ce morceau de quartz. Placez ce cristal entre votre oil et une fleur et vous verrez très nettement la fleur. Mais placez-le entre votre oil et un jardin plus éloigné et vous ne distinguerez qu'un mélange de couleurs.
- Alors, il n'y a aucun remède, aucune opération possible ? murmurai-je, très malheureux.
- Je suis désolé. Si vous aviez cette maladie causée par la mouche noire, je pourrais vous soigner ; si vous étiez affligé de ce qu'on appelle le voile blanc, je pourrais vous l'ôter et vous rendre une vision meilleure, bien qu'imparfaite. Mais il n'existe aucune opération capable de changer la forme d'un globe oculaire, sans le détruire totalement. On ne connaîtra jamais le remède à votre état, de même qu'on ignorera toujours l'endroit secret o˘ s'en vont mourir les alligators. "
De plus en plus malheureux, je marmonnai : " II va donc falloir que je continue à vivre dans un brouillard pour le restant de mes jours, en plissant les yeux comme une taupe.
- …coutez, me dit-il, sans paraître ému le moins du monde par ma détresse, vous pouvez également passer le restant de vos jours à remercier les dieux de ne pas
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être complètement aveugle, à cause du voile blanc, de la mouche ou d'une autre maladie. Vous en verrez beaucoup dans ce cas, ajouta-t-il avec véhémence, et eux, ils ne vous verront jamais. "
J'étaîs si déprimé par le verdict du médecin que je fus de fort méchante humeur pendant tout notre séjour à Tamôan Chan et je dus être bien pénible à supporter pour mes associés. Un jour, un guide de la tribu des Pokom‚m nous emmena voir les merveilleux lacs de Tzisk‚o, situés dans une région à
l'extrême est de la forêt vierge et je les considérai avec autant de froideur que si Chac, le dieu-pluie des Maya, les avait créés dans le seul but de m'offenser personnellement. Il y a une soixantaine de pièces d'eau, depuis des petites mares jusqu'à des lacs de dimension honorable, sans aucun chenal pour les relier les uns aux autres. On ne voit pas de cours d'eau qui les alimente et cependant leur niveau ne baisse jamais pendant la saison sèche et ils ne débordent pas pendant la saison des pluies. Mais le plus extraordinaire, c'est qu'il n'y a pas deux lacs de la même couleur.
De l'éminence o˘ nous étions placés, on dominait six ou sept lacs et notre guide déclara avec fierté : " Regardez, jeune voyageur,
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