Furia Azteca
Seigneur, que le trône du Uey tlatoani n'est pas un moelleux coussin sur lequel on peut se prélasser à son aise. C'est le siège des soucis, du travail et de l'effort. "
Je ne crois pas que Motecuzoma transpirait comme les autres, bien qu'il port‚t deux manteaux, un noir et un bleu, brodés tous deux de têtes de mort et de symboles destinés à lui rappeler que même un Orateur Vénéré
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doit mourir un jour. Je ne pense pas que Motecuzoma ait jamais transpiré ; sa peau m'a toujours semblé froide et sèche. Le prêtre continuait son homélie :
" A partir de ce jour, vous allez faire de votre personne un grand arbre sous lequel les multitudes pourront venir chercher de l'ombre et s'appuyer contre son tronc. Maintenant, Seigneur, vous devrez gouverner vos sujets, les défendre et les traiter avec justice. Vous devrez punir la méchanceté
et ch‚tier la désobéissance, vous montrer assidu à entreprendre les guerres nécessaires et veiller tout spécialement aux besoins des dieux, de leurs temples et de leurs prêtres, afin qu'ils ne manquent ni d'offrandes, ni de sacrifices. Ainsi les dieux se plairont à étendre leur protection sur vous et sur le peuple, et la nation mexica prospérera. "
De l'endroit o˘ je me trouvais, les bannières de plumes légères qui flanquaient l'escalier de la grande pyramide semblaient converger vers le sommet, comme une flèche pointée vers les silhouettes minuscules et lointaines de l'Orateur Vénéré et du vieux prêtre. Lorsque, enfin, le prêtre eut terminé, ce fut au tour de Motecuzoma de prendre la parole.
" Noble et respectable prêtre, vos paroles auraient pu sortir de la bouche même du très puissant Huitzilo-pochtli. Elles m'ont donné à réfléchir. Je prie les dieux d'être digne des sages conseils que vous venez de me donner.
Je vous remercie de votre zèle et j'apprécie l'amour avec lequel vous avez parlé. Si je veux être l'homme que souhaite mon peuple, je devrais me souvenir toujours de vos conseils et de vos avertissements... "
Prêts à déchirer les nuages dans les cieux, à la fin du discours de Motecuzoma, les prêtres levèrent leurs conques, les musiciens saisirent leurs baguettes et leurs fl˚tes.
" Je suis fier de ramener sur le trône l'illustre nom de mon vénéré grand-père et en l'honneur de la nation que je vais gouverner - une nation plus puissante encore que du temps de mon grand-père - mon premier décret sera de donner à la charge que j'occupe un nom qui lui conviendra mieux. "
II se retourna pour faire face à la foule, leva très haut 712
son b‚ton d'acajou et d'or et hurla : " A partir d'aujourd'hui, vous serez gouvernés, défendus et conduits vers des sommets toujours plus hauts par Motecuzoma Xocoyotzin, Cem Anahuac Uey tlatoani ! "
Si le ronron d'une demi-journée de discours avait tant soit peu endormi l'auditoire, la cacophonie qui éclata alors le réveilla en sursaut et fit trembler l'île tout entière. C'était un mélange de fl˚tes et de sifflets glapissants, de sonneries de trompettes et du tonnerre incroyable d'une vingtaine de tambours qui déchirent le cour. Pourtant même si les musiciens eux-mêmes s'étaient endormis et que leurs instruments soient restés silencieux, le choc provoqué par les dernières paroles de Motecuzoma aurait été suffisant pour faire sortir l'assistance de sa torpeur.
J'échangeai des regards en coulisse avec les Chevaliers-Aigle qui étaient à
côté de moi et je vis les chefs d'état étrangers se parler entre eux en grommelant. Les gens du peuple, eux-mêmes, devaient être saisis par l'annonce faite par leur nouveau seigneur et personne, certainement, n'appréciait son audace. Jusqu'à présent, les chefs de notre pays s'étaient toujours contentés du nom de Uey tlatoani des Mexica. Motecuzoma venait de faire reculer sa souveraineté jusqu'aux limites de l'horizon.
Il s'était décerné à lui-même le titre d'Orateur Vénéré du Monde Unique.
quand je rentrai chez moi, ce soir-là, pressé de me débarrasser de mon plumage, ma fille ne m'accueillit que par un salut désinvolte, au lieu de se jeter à mon cou comme elle le faisait habituellement. Elle était assise par terre, toute nue, curieusement cambrée en arrière et tenant au-dessus de sa tête un miroir comme si elle essayait d'y apercevoir son dos et elle était bien trop occupée pour faire attention à moi. Je trouvai Béu dans la pièce voisine et je lui demandai ce que faisait Coco-ton.
"
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