Furia Azteca
en échange de ceux que je lui avais apportés de la part de Motecuzoma. On nous traita princièrement et nous d˚mes nous forcer à avaler cette horrible eau minérale dont les Teohuacana sont si fiers, en nous léchant les babines pour leur faire croire que nous nous régalions. Je remarquai quelques sourcils qui se relevaient quand je demandai deux chambres pour Béu et moi.
Pourtant, j'ai le vague souvenir qu'elle est
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venue me voir une nuit. Elle m'a dit quelque chose, elle m'a supplié. Je lui ai répondu très durement ; elle m'a imploré. Je crois que je l'ai giflée, mais je ne me rappelle plus...
Non, Seigneur scribe, ne me regardez pas comme ça. Je ne suis pas en train de perdre brusquement la mémoire. Toutes ces choses sont restées obscures pour moi, parce qu'un autre événement est survenu peu après qui a laissé
une telle marque dans mon souvenir qu'il a occulté tout ce qui s'était passé juste avant. Je me souviens que nous avons quitté nos hôtes après maintes salutations et que toute la population était venue dans la rue pour nous acclamer. Seule Béu n'avait pas l'air heureuse du succès de notre ambassade. Il me semble qu'il nous a fallu aussi cinq jours pour revenir...
Le jour tombait quand nous arriv‚mes au bord de la rivière sur la rive opposée à Yanquitlan. Très peu de huttes paraissaient avoir été construites depuis notre départ, mais il devait y avoir une autre fête en cours, car on voyait plusieurs feux flamber très haut et très fort, bien que la nuit ne f˚t pas encore tout à fait installée.
Au lieu de passer tout de suite sur l'autre rive, nous nous arrêt‚mes un moment pour écouter les cris et les rires qui nous parvenaient et jamais ces manants ne nous avaient semblé aussi joyeux. Soudain, un homme surgit de la rivière. En nous apercevant, il accourut en pataugeant dans l'eau et me salua respectueusement :
" Mixpantzinco ! En votre auguste présence. Soyez le bienvenu au village, Chevalier-Aigle. Nous avions peur que vous manquiez toute la cérémonie.
- quelle cérémonie ? fis-je. Je ne connais aucune cérémonie o˘ les participants doivent se mettre à l'eau.
- Oh, c'est une idée à moi, s'esclaffa-t-il. J'ai eu si chaud en dansant et en m'amusant que j'ai eu envie de me rafraîchir un peu. Mais, j'ai déjà été
béni par l'os. "
Je me taisais et il d˚t prendre mon silence pour de l'incompréhension, car il poursuivit :
" Vous avez dit vous-même aux prêtres de faire tout ce que demandaient les dieux. Vous savez s˚rement que le mois de Tlacaxipeualiztli était déjà bien entamé quand vous êtes partis et qu'on n'avait pas encore prié les dieux 769
de bénir le défrichage des terres pour pouvoir commencer à planter. "
Je savais tout cela, en effet, mais je voulais repousser une pensée qui me broyait le cour. Le drôle continua ses explications, comme s'il était fier d'être le premier à me mettre au courant.
" Certains d'entre nous voulaient attendre votre retour, Seigneur Chevalier. Mais les prêtres ont d˚ h‚ter les préparatifs et les préliminaires. Vous savez qu'on n'avait pas grand-chose pour régaler l'élue, ni d'instruments pour faire de la bonne musique. Alors, on a chanté
très fort et on a br˚lé de l'encens. Comme il n'y avait pas de temple pour les accouplements indispensables, les prêtres ont béni un endroit d'herbe tendre caché par des buissons et je vous assure que les volontaires n'ont pas manqué. Certains y sont même retournés plusieurs fois. On s'est tous mis d'accord pour faire honneur à notre commandant, même en son absence et le choix de l'élue a été unanime. Vous arrivez juste à temps pour voir le dieu représenté dans la personne de... "
II s'arrêta net, car je venais de lui balancer mon mac-quauitl au travers de la gorge. Béu poussa un cri et derrière elle, les soldats allongeaient le cou, les yeux écarquillés. L'homme tangua, la tête légèrement penchée, remuant silencieusement la bouche et les lèvres béantes et rouges qui venaient de s'ouvrir sous son menton. Soudain, sa tête partit en arrière, le sang gicla et il s'écroula à mes pieds.
" Pourquoi ? Pourquoi as-tu fait ça ? dit Béu, hébétée.
- Silence, femme ! " hurla qual‚nqui. Il me saisit par le bras, sinon je serais tombé et me dit : " II est peut-être encore temps, Mixtli.
- Non, c'est trop tard, répondis-je en secouant la tête. Vous avez entendu, il a dit qu'il avait été béni par l'os.
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