Gauvain
garde. »
Une fois l’homme rentré dans la forteresse, la demoiselle chauve pria Gauvain de lui remettre son vieux bouclier fracassé. « Volontiers », répondit Gauvain. La jeune fille qui allait à pied s’en empara donc et le déposa sur le char. À ce moment, on entendit un bruit épouvantable à l’intérieur de la forteresse, des cris et des hurlements dont retentirent toute la forêt et la vallée aux alentours. « Gauvain, dit la demoiselle chauve, c’est le chevalier que l’on couvre d’injures avant de l’enfermer dans une sombre prison. Nous pouvons repartir maintenant. » Ils se remirent en route tous ensemble et, quand ils eurent laissé une bonne lieue derrière eux, Gauvain dit : « Demoiselle, j’aimerais maintenant prendre congé, si toutefois tu me le permets. – Bien sûr, répondit-elle. Quitte-nous quand tu le voudras. Je te remercie de nous avoir accompagnées. Que Dieu te protège ! – Demoiselle, dit encore Gauvain, sache que tu pourras toujours compter sur mon aide, toi et tes compagnes, bien entendu. – Mille fois merci, Gauvain. Je vais t’indiquer ton chemin, comme je te l’ai promis. Va jusqu’à l’orée du bois. Là, tu trouveras une grande croix qui indique l’entrée d’un chemin. Tu suivras celui-ci. Il traverse une forêt infiniment plus belle que celle que tu as vue. »
Ils se saluèrent une dernière fois. Mais avant que Gauvain n’eût éperonné Gringalet, la jeune fille qui allait à pied lui dit : « Gauvain, Gauvain, tu es moins avisé que je ne le pensais ! » Tout étonné, il se retourna. « Pourquoi dis-tu cela, jeune fille ? – Parce que tu n’as pas demandé à la demoiselle chauve pour quelle raison elle porte son bras suspendu à son cou par cette écharpe d’or et posé sur ce magnifique coussin. Quand tu seras à la cour du Riche Roi Pêcheur, il se pourrait fort que tu ne te montres pas plus pertinent… »
Gauvain s’apprêtait à lui demander ce qu’elle voulait dire, quand la demoiselle chauve intervint : « Douce amie, dit-elle, ne blâme pas Gauvain pour cela. Le roi Arthur et tous les chevaliers qui étaient à la cour devraient l’être tout autant, puisque aucun ne m’a posé la moindre question à ce sujet. » Enfin, elle s’adressa à Gauvain : « Pars maintenant, ajouta-t-elle. Il ne servirait à rien de m’interroger davantage, car je ne répondrais pas. Tu ne sauras la vérité que de la bouche du chevalier le plus couard qui puisse exister. Il est mon vassal et me cherche sans savoir où me trouver. » Sur ce, elle se remit en route, abandonnant Gauvain à sa perplexité {29} .
11
Le Château des Brouillards
À chevaucher au sein d’une forêt si dense et si verte et si riche en gibiers de toutes sortes, Gauvain se sentait fort aise. Et pourtant, le souvenir des sinistres régions qu’il avait parcourues en compagnie des jeunes filles au char, le tourmentait moins que les propos de celle qui marchait à pied. Qu’avait-elle voulu lui signifier ? Allait-il donc aussi s’attirer les reproches des gens qu’il rencontrerait ? Il s’en alla ainsi tout le long du jour, et le soir venu le surprit près de la demeure d’un ermite. Juste à côté se trouvait une chapelle devant laquelle, vive et claire, jaillissait une source qu’un arbre au large feuillage arrondi abritait des rayons du soleil. Assise à son pied, se voyait une jeune femme. Celle-ci tenait les rênes d’une mule qui, à l’arçon de sa selle, portait la tête coupée d’un homme.
Gauvain s’approcha et mit pied à terre. « Dame, dit-il, que Dieu te garde. – Seigneur, qu’il en fasse de même pour toi tous les jours de ta vie », répondit-elle. Et elle se leva pour l’accueillir. « Qu’attends-tu donc ici ? reprit-il. – Seigneur, j’attends l’ermite. Il est allé dans la forêt, et j’aimerais lui poser quelques questions à propos d’un chevalier. – Crois-tu qu’il pourra te répondre ? – On me l’a affirmé. »
L’ermite revint bientôt. Il salua la jeune femme et Gauvain, ouvrit la porte de sa demeure et y fit entrer les deux montures, leur ôta la bride et le mors, puis leur donna de l’herbe et de l’orge. Il s’apprêtait à les desseller quand Gauvain se précipita : « Seigneur, protesta-t-il, cette besogne ne t’incombe pas ! – Pourquoi donc ? répondit l’ermite. J’en suis tout à fait capable, car après avoir été écuyer, j’ai servi comme chevalier auprès du roi
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