Gauvain
bon chevalier. »
L’autre reprit : « Ainsi, tu pourras être satisfait. Si tu parviens à conquérir ce bouclier, tu seras le meilleur chevalier du monde. Mais j’en doute fort, car ton propre bouclier est le plus misérable et le plus abîmé que j’aie jamais vu à un chevalier. C’est à peine si l’on en peut deviner la couleur. – Cela prouve, dit la demoiselle chauve, que le chevalier ni son bouclier ne sont demeurés inactifs. – Trêve de discussion ! De toute façon, il doit se battre contre moi. Je lui lance un défi. – Et je le relève », dit seulement Gauvain.
Il recula pour prendre son élan, son adversaire fit de même, et ils s’élancèrent l’un sur l’autre de toute la vitesse de leurs chevaux, les lances pointées hardiment. Le chevalier atteignit et transperça le bouclier délabré de Gauvain mais, du même coup, y brisa son arme. Gauvain, quant à lui, le frappa en pleine poitrine et le projeta au sol par-dessus la croupe de sa monture, la lance enfoncée d’une bonne paume dans l’épaule. Or, dès qu’il eut retiré son arme, son adversaire se remit debout et voulut remonter à cheval. Il allait déjà mettre le pied à l’étrier quand la demoiselle chauve s’écria : « Gauvain ! empêche-le de sauter en selle, car tu aurais bien du mal à le vaincre ! »
En entendant le nom de Gauvain, le chevalier sursauta et recula. « Comment ? s’exclama-t-il. Es-tu donc le vaillant Gauvain, le neveu du roi Arthur ? – C’est bien lui, répondit la jeune fille. – Seigneur, dit le chevalier, c’est toi que je cherchais ! – Et pourquoi me cherchais-tu ? Que me veux-tu ? – Seigneur, répondit l’autre, si tu es Gauvain, je me considère comme vaincu et je déplore de n’avoir pas su qui tu étais avant de t’attaquer. » Retirant alors le bouclier de son cou, il le lui tendit : « Seigneur, dit-il, prends ce bouclier qui a appartenu au meilleur des hommes de son temps, car je ne connais personne plus digne que toi de le porter. C’est avec ce bouclier qu’ont été vaincus tous les chevaliers qui sont maintenant enfermés dans la forteresse. »
Gauvain saisit le bouclier dont la magnificence l’émerveillait. « Seigneur, reprit alors le chevalier, donne-moi le tien en échange, car tu ne peux porter deux boucliers. – C’est juste », dit Gauvain. Il dénoua la courroie de son cou, et il allait remettre son bouclier au chevalier quand la jeune fille qui allait à pied s’écria : « Que fais-tu là, Gauvain ? Quelle imprudence ! S’il emporte ton bouclier dans la forteresse, tout le monde te croira vaincu, et ils sortiront tous pour venir te chercher et te jeter dans un cachot affreux. On n’apporte là-bas que les boucliers des chevaliers vaincus. » Gauvain recula de quelques pas, son bouclier brisé toujours à la main. « Si j’en crois cette jeune fille, dit-il, ce n’est pas pour mon bien que tu veux ce bouclier ! – Seigneur, j’implore ta pitié une fois encore, et je me tiens pour vaincu. Certes, j’aurais été très heureux d’emporter ce bouclier dans la forteresse, car jamais n’y serait entré bouclier d’un meilleur chevalier. Mais je suis quand même heureux de t’avoir rencontré, Gauvain. Et pourtant, tu m’as blessé. Cependant, je me réjouis, parce que tu m’as permis d’échapper à la plus pénible des épreuves auxquelles jamais chevalier se soit vu soumis. – De quoi parles-tu ? s’étonna Gauvain.
— Je vais t’expliquer. Il advenait très fréquemment que des chevaliers passaient par ici, devant la forteresse, des braves autant que des couards, et j’étais obligé de les affronter tous. Toujours je leur proposais pour prix de la victoire, ainsi que je l’ai fait avec toi, mon bouclier. Or, parmi ceux qui sont venus, beaucoup se montrèrent des plus hardis. Ils se défendirent vaillamment et m’infligèrent de douloureuses blessures. Néanmoins, aucun d’eux ne me jeta à terre en me frappant aussi violemment que toi. Et, puisque tu emportes le bouclier et que j’ai été vaincu, aucun chevalier passant devant ces murailles n’aura plus jamais rien à craindre ni de moi ni de ceux qui habitent cette forteresse. – Sur ma tête, dit Gauvain, je me réjouis encore davantage de ma victoire ! – Seigneur, reprit le chevalier, permets-moi de prendre congé. Je ne pourrai cacher ma honte à ceux qui m’attendent. Elle va éclater aux yeux de tous. – Va, dit Gauvain, que Dieu te
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