Gauvain
instant à mes côtés. »
Le chevalier tira sur la bride, et son cheval s’immobilisa. Les jeunes filles l’entourèrent, tandis que les cerfs se reposaient. « Jeune fille, il est en effet normal que je te dise mon nom : je suis Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie et neveu du roi Arthur. – Quelle surprise ! s’exclama la demoiselle chauve. Tu es vraiment Gauvain. Mon cœur me le disait, mais je n’osais le croire. – Oui, certes, je suis Gauvain, je ne te mens pas. – Dieu soit béni ! dit-elle. De toute évidence, un chevalier de ta valeur doit se rendre chez le Riche Roi Pêcheur. Mais, eu égard à ta vaillance et à ta générosité, je te prierai de faire demi-tour et de m’accompagner jusqu’à ce que nous ayons dépassé une forteresse qui se trouve dans cette forêt. Elle présente quelque danger, mais tu n’es pas de ceux qui reculent devant une telle perspective. – Il est vrai, dit Gauvain, je n’ai jamais refusé mon aide à qui me la demande. »
Il suivit donc les jeunes filles et leur char à travers la forêt qui était épaisse, sombre et fort peu fréquentée. La demoiselle chauve lui conta, comme elle l’avait fait devant le roi Arthur, l’histoire des têtes que portait le char. Elle l’informa également du bouclier laissé à Kamaaloth, du petit chien et de tout ce qui concernait le chevalier à venir. Cependant, Gauvain s’étonna de les voir, elles qui montaient des mules, laisser leur compagne marcher à pied derrière le char.
« Amie, demanda-t-il soudain, pourquoi cette jeune fille qui marche avec tant de peine ne monte-t-elle pas dans le char ? – Seigneur, répondit la demoiselle chauve, il est impossible de l’y admettre. Elle est obligée d’aller à pied. Mais si tu es un aussi vaillant chevalier qu’on le dit, tu pourrais peut-être abréger sa pénitence. – Quelle pénitence ? dit Gauvain. Et comment pourrais-je, moi qui ignore tout de cette histoire, abréger sa pénitence ? – Je vais te l’expliquer. Cette jeune fille a commis autrefois une faute qu’elle doit expier. Il ne m’appartient pas de te révéler en quoi elle a péché. Mais sache que si nous sommes, toutes les trois, obligées de courir les routes, et que si moi-même j’ai perdu tous mes cheveux, c’est à cause des chevaliers qui, venus chez le Roi Pêcheur, n’ont pas posé la question qu’on attendait d’eux. Depuis lors, nous sommes vouées au malheur, et tous les royaumes sont plongés dans la désolation et la guerre, tandis que le Roi Pêcheur lui-même est tombé dans une langueur qui le fait cruellement souffrir. Peut-être es-tu le chevalier que nous attendons tous, celui qui posera enfin la question si longtemps attendue. »
Gauvain comprenait de moins en moins. « Quelle question ? demanda-t-il. – Je ne sais, dit-elle évasivement. Quand on en pose une, c’est toujours parce qu’un détail intrigue. Le problème est de poser celle qui s’impose au bon moment. – Et ce Riche Roi Pêcheur dont tu me parles, qui est-il ? – Certains de tes compagnons de la Table Ronde le connaissent fort bien. Le roi Arthur également, puisqu’il l’a reçu à sa cour. Je peux te dire que le Roi Pêcheur porte le nom de Pellès et qu’il a sa demeure dans la forteresse de Corbénic. – Où est donc Corbénic ? – Je te l’indiquerai quand il sera temps. Mais cela ne te servira guère. Au fait, qui t’a parlé de la Lance qui saigne, et que tu prétends rechercher ? – Le roi d’Escavalon et les gens dont il est le maître. Depuis qu’ils m’ont parlé de cette Lance, je me suis mis en tête de la rechercher et de savoir ce qu’elle signifie. – C’est déjà un bon début », approuva la demoiselle chauve. Mais là s’arrêta la conversation.
Ils cheminaient à vive allure, la malheureuse jeune fille à pied les suivant en courant, et ils quittèrent la haute futaie verte où chantaient des oiseaux de toutes les couleurs pour pénétrer dans un bois sombre et effroyable. Il semblait qu’en dehors des troncs et de quelques ramures qui subsistaient, jamais celui-ci n’avait vu de verdure. La terre en était sèche et calcinée comme si un incendie avait tout ravagé aux alentours. « Jeune fille, dit Gauvain, cet endroit est sinistre. En avons-nous encore pour longtemps ? – On l’appelle la Gaste Forêt, dit la demoiselle chauve, et elle s’étend sur dix lieues au moins. Mais, rassure-toi, point n’est besoin que nous la traversions de
Weitere Kostenlose Bücher