Gauvain
Uther durant de longues années, avant de venir dans cet ermitage, voilà plus de trente ans.
Gauvain le dévisagea avec stupeur : « Se peut-il ? dit-il, tu ne sembles pas avoir quarante ans ! – Je sais », dit simplement l’ermite. Gauvain dessella alors les deux bêtes en prenant plus grand soin de la mule de la jeune femme que de son propre Gringalet. Ensuite, l’ermite prit ses hôtes par la main et les conduisit dans la chapelle, qui était un édifice plein d’agrément, et il dit à Gauvain : « Seigneur, ne te désarme pas, cette forêt est dangereuse. Nul honnête homme ne doit s’y risquer désarmé. » Sur ces mots, il prit la lance et le bouclier de Gauvain et les apporta dans la chapelle. Cela fait, il offrit aux jeunes gens les aliments dont il disposait, ainsi que de l’eau en guise de boisson. Une fois rassasiée, la jeune femme lui dit : « Seigneur ermite, je voudrais que tu me parles d’un chevalier que je cherche. – Quel chevalier ? – Un chevalier de grand lignage dont j’ignore le nom. Je sais seulement qu’on l’appelle le Bon Chevalier. » L’ermite soupira longuement. « Je ne peux rien te dire à ce sujet, répondit-il. – Et toi, seigneur chevalier, demanda-t-elle en se tournant vers Gauvain, sais-tu quelque chose ? – Ma foi, répondit Gauvain, mis à part que tout le monde ici me parle du Bon Chevalier, j’en ignore tout. Cependant, j’aimerais fort le rencontrer. – Et la demoiselle chauve, la connais-tu ? – Oui, depuis peu. – Portait-elle toujours son bras gauche suspendu à son cou ? – Oui, mais si cela m’a fort intrigué, je ne l’ai pas interrogée là-dessus. – Elle le portera encore longtemps ainsi, dit la jeune femme. – Seigneur, dit tout à coup l’ermite, quel est ton nom ? – Je suis Gauvain, neveu du roi Arthur. »
À ces mots, la jeune femme se redressa, pleine de colère. « Tu appartiens au pire lignage qui soit ! s’écria-t-elle. – Et pourquoi donc ? – Je parle du lignage du roi Arthur, par la faute de qui le monde se trouve en pleine décadence. Le roi Arthur a connu des débuts brillants, mais il est maintenant un mauvais roi, et ses chevaliers ne valent pas mieux que lui. C’est à cause de l’un d’eux que j’ai pris en haine un homme dont j’ai réclamé la tête. Il m’a obéi et m’a apporté celle-ci : tu l’as vue sur ma mule. Et voilà pourquoi je suis condamnée à errer en quête du Bon Chevalier. – Dame, répondit Gauvain, je ne sais si tu as tort ou raison dans cette affaire, mais tu te trompes lorsque tu prétends qu’Arthur est un mauvais roi. Il est loin d’être en déchéance, et il est entouré de chevaliers dont il a droit de s’enorgueillir. – Je conçois que tu le défendes, puisqu’il est ton oncle. Mais moi, je te le répète, Arthur est un mauvais roi, parce qu’il laisse régner l’injustice autour de lui. Et bientôt le royaume s’écroulera par sa faute. »
L’ermite intervint : « Seigneur, dit-il à Gauvain, les propos de cette dame n’engagent qu’elle-même. Que Dieu protège le roi Arthur et lui accorde longue vie, à lui qui est le fils du roi Uther qui m’arma chevalier. À présent, je suis prêtre, et ce depuis ma visite à la cour du Riche Roi Pêcheur. – Seigneur, dit Gauvain, par où se rend-on à la demeure du Roi Pêcheur ? – Seigneur, répondit l’ermite, nul ne saurait t’en indiquer le chemin. » Gauvain fort désappointé, demanda encore : « Que sais-tu de la Lance qui saigne ? – Je ne te répondrai pas. »
La conversation s’arrêta là. L’ermite mena Gauvain se reposer dans la maison, tandis que la jeune femme restait dans la chapelle. Le lendemain, à l’aube, Gauvain, qui avait dormi tout équipé, se leva et trouva Gringalet, ainsi que la mule de la jeune femme, tout bridés et sellés. Il se dirigea vers la chapelle. L’ermite allait célébrer la messe, et la jeune femme, agenouillée devant l’autel, priait Dieu de l’aider dans son entreprise. Elle pleurait doucement, et des larmes inondaient son visage. Après avoir prié longtemps, elle se redressa, et Gauvain la salua. « Pourquoi te montrer si affligée ? demanda-t-il.
— Seigneur, répondit-elle, j’en ai quelque sujet. Je vais perdre mon héritage si je ne trouve le Bon Chevalier. Je dois maintenant me rendre à la forteresse de l’Ermite Noir et y apporter la tête qui est suspendue à l’arçon de ma selle : si je ne le fais, je ne
Weitere Kostenlose Bücher