Gauvain
Vois-tu, beau neveu ? La prouesse ne suffit pas, si elle ne se nourrit de la vision des choses. Or, ton orgueil t’aveugle au point de t’égarer sur des chemins qui ne mènent nulle part. – Il me semble, rétorqua Gauvain, que tes sortilèges n’y sont pas étrangers non plus ! » Morgane éclata de rire : « Vraiment ? railla-t-elle.
— Oui, répondit Gauvain, vraiment ! J’en suis persuadé, tu as fait l’impossible pour me détourner de ma route et me fourvoyer au milieu des brouillards. Tu utilises bien mal les pouvoirs que tu tiens de Merlin ! – Qu’en sais-tu ? D’ailleurs, je te le répète, je n’avais que faire de recourir à mes pouvoirs pour te perdre : tu t’en chargeais fort bien tout seul. Tu étais parti en quête de la Lance qui saigne afin d’en découvrir la signification et, après être parvenu au but, tu n’as pas osé terminer ton entreprise. Et pourtant ! tu es entré deux fois dans la demeure du Roi Pêcheur, un privilège qu’ont obtenu fort peu de chevaliers avant toi. Mais sans doute ne t’appartenait-il pas de déchiffrer le mystère. On t’a cent fois parlé du Bon Chevalier qui mettra un terme aux aventures. Résigne-toi, Gauvain, tu n’es pas le Bon Chevalier. Nul ne peut forcer le destin quand tout est écrit.
— Cependant, reprit Gauvain, j’ai vu la Lance qui saigne et j’ai vu le Graal dont nous parlait Merlin. Je suis entré dans la demeure du Riche Roi Pêcheur où j’ai même apporté l’épée qui a fait tomber la tête de Jean le Baptiste ! – Es-tu vraiment sûr d’être allé chez le Roi Pêcheur ? dit Morgane. Ignores-tu que le Roi Pêcheur a le don de changer d’aspect à sa guise et qu’il se sert de ses pouvoirs pour mieux dérouter ceux qui n’ont pas accès aux mystères du Graal ? – Tout ce que j’ai vu était conforme aux paroles de Merlin, répondit Gauvain. – Peut-être Merlin ne connaissait-il pas la véritable histoire du Graal ? insinua Morgane. On raconte en effet bien des choses étonnantes à ce sujet.
« Il était une fois un barde, du nom de Kyot, qui avait parcouru le monde à la recherche des secrets qui y sont cachés. C’est ainsi qu’il découvrit à Tolède, dans un manuscrit oublié, un récit d’une importance capitale pour la connaissance du Graal, récit rédigé en une langue très ancienne que personne ne connaissait plus. À force de travail et de patience, Kyot parvint toutefois à déchiffrer cette écriture et à en comprendre le sens. Il raconta par la suite que vivait, aux temps les plus lointains, un homme du nom de Flégétanis, qui s’était acquis une grande renommée par son savoir. Ce grand connaisseur de la nature descendait du sage roi Salomon, et sa famille était de grande noblesse. Il pouvait renseigner tout un chacun sur la disparition des étoiles et l’heure de leur retour dans le ciel. Il connaissait la durée des révolutions des astres et savait que la destinée des hommes est étroitement liée aux cycles du firmament. Il découvrit ainsi dans les constellations des astres inconnus de tous et dont les mystères étaient si vastes et si profonds qu’il n’en parlait lui-même qu’en tremblant. Il racontait également qu’existait un objet auquel on avait donné le nom de Graal : il avait lu nettement ce nom parmi les étoiles. Et il ajoutait qu’une cohorte d’anges avait laissé cet objet sur terre avant de s’envoler bien haut dans les cieux pour n’en jamais revenir.
« Voilà ce que Flégétanis avait découvert à ce propos. Ayant donc lu ces pages, Kyot, qui était très savant en toutes sciences, se mit à chercher partout dans les livres afin de savoir où pouvait vivre un peuple assez pur pour conserver le Graal en un point de la terre épargné par le mal. Après avoir parcouru les chroniques de toutes les nations, il fut, dit-on, assez heureux pour dénicher des informations dans les anciennes chroniques de Bretagne. Et lui-même fit un récit de ce qu’il avait appris. Il raconta que de vaillants chevaliers avaient établi leur demeure dans une forteresse appelée Corbénic, et que le Graal se trouvait caché parmi eux. Ces chevaliers partaient souvent en quête d’aventures, affrontant tous ceux qui prétendaient approcher leur demeure. Et Kyot affirmait que leur force leur venait d’une pierre tombée du ciel. C’est grâce à la vertu de cette pierre que le phénix se consume et tombe en cendres, mais c’est également grâce à
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