Gauvain
elle que le phénix renaît de ses cendres, plus beau et plus resplendissant que jamais. Et Kyot racontait encore qu’il n’était point d’homme, si malade fût-il, qui, s’il regardait cette pierre, ne fût assuré de ne pas mourir dans la semaine consécutive. Tout homme et toute femme admis à la contempler ne pouvaient plus vieillir. Et Kyot révélait également comment reconnaître ceux qui sont chargés de veiller sur le Graal : sur la face supérieure de la pierre tombée du ciel se lit une inscription portant le nom et la lignée de ceux, garçons ou filles, que le sort destine à rallier les gardiens de la coupe sacrée. Voilà tout ce que je sais. Mais ce que je puis enfin dire, c’est qu’à l’évidence, Gauvain, ton nom n’a jamais figuré sur la pierre…
— Je n’ai jamais vu de pierre ! s’écria le chevalier. Tout ce que tu me racontes est hors de propos. J’ai vu la Lance et le Graal, et je peux t’affirmer qu’il n’existe pas de pierre sur laquelle apparaissent de mystérieuses inscriptions. – On n’aura pas voulu te la montrer, dit Morgane, et cela pour ne pas t’infliger de honte supplémentaire. – Tu mens, Morgane, reprit Gauvain avec colère. Tu débites des fables pour me faire douter ! – Beau neveu, quel intérêt aurais-je à te mentir ? Je ne fais que te conter ce que d’autres, bien avant moi, ont déjà conté. D’ailleurs, mon histoire n’est pas terminée. Veux-tu en connaître la suite ? – Si cela te chante, dit Gauvain, je suis prêt à l’entendre.
— N’oublie pas, reprit Morgane, que la Pierre passe pour avoir été apportée du ciel par des anges, et que ceux-ci, trop purs pour demeurer au milieu des humains, ont dû regagner les séjours divins, sitôt confiée la garde de l’objet sacré à des hommes, en apparence moins pervers que les autres. Et l’on raconte que ces hommes avaient un roi. Certains l’appellent Anfortas. D’autres préfèrent le nommer Pellès. De toute façon, il s’agit du Roi Pêcheur. Il règne sur une noble confrérie dont les élus, par leur vaillance, ont réussi jusqu’à ce jour à préserver le Graal contre toutes les tentatives de ceux qui désiraient s’en emparer. C’est ainsi que les mystères du Graal sont demeurés cachés : seuls les connaissent ceux qui ont été désignés pour rallier les compagnons du Graal. Malheureusement, comme tu as pu le constater toi-même, le Roi Pêcheur est blessé : il boite et souffre mille douleurs. Et ce en raison d’une faute qu’il a commise.
« Il était pourtant bien digne d’occuper cette fonction, digne de la couronne et de la puissance dont il disposait. Hélas ! son sort pitoyable, il le doit à une étrange aventure. Il est dit en effet qu’un roi du Graal ne peut se mésallier. S’il vient à aimer une autre femme que celle que lui assigne l’inscription qui se trouve sur la pierre, il s’en voit châtier par des souffrances et des tourments impitoyables. Or, dans sa jeunesse, le roi, du moins à ce que l’on raconte, se choisit une amie lui paraissant d’un noble naturel. Il se mit à son service, accomplit pour elle de grands exploits et, de sa main pure, transperça nombre de boucliers. Son cri de guerre qui, entre nous, ne témoigne guère d’une grande humilité, était « Amor ! ». Mais tu le sais, toi, Gauvain : même un héros peut s’abandonner à bien des faiblesses !
« Or donc, un jour, le roi partit seul, à cheval, en quête d’aventure, car son désir d’amour le poussait toujours à mériter quelque nouvelle récompense de la part de celle qu’il aimait. Lors d’un combat singulier, il fut blessé en ses parties viriles par une lance empoisonnée, et jamais plus il ne recouvra la santé. Celui qui bataillait et joutait contre lui, un païen né en un très lointain pays, était convaincu qu’il pourrait conquérir le Graal par sa vaillance. Il en avait même fait graver le nom sur la hampe de sa lance. Attiré par ce que l’on disait de la vertu du Graal, il avait traversé les terres et les mers en quête d’exploits chevaleresques. Certes, le roi remporta la victoire et tua son adversaire, préservant ainsi le Graal du contact de toute main impure, mais le fer de la lance resta dans son corps. Quand on eut ramené le roi dans sa forteresse, le médecin qui examina la blessure eut beau extraire le fer, hélas, la plaie continua de suppurer, et jamais on ne put la guérir. On envoya partout à travers le
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