Gauvain
l’eut aidé à se désarmer, Gauvain s’approcha d’elle afin de la réconforter. « Belle, dit-il, tu ne dois pas me tenir grief de la mort d’Escanor. Il ne faut en accuser que son arrogance et sa cruauté. Par-dessus tout, il fut coupable de t’entraîner dans cette aventure. Comment a-t-il osé faire de toi sa complice pour m’obliger à le combattre ? Je comprends maintenant, tu avais de l’amour pour lui, et c’est par amour que tu as agi ainsi. Tu ne savais pas ce que tu risquais. Mais sois sans crainte, je ne reporterai pas sur toi la colère qui m’animait contre lui. Sache que je devais le vaincre pour venger l’honneur du roi Arthur ainsi que le mien, puisque, aux yeux de tous, je devais te protéger contre tout danger. – Je ne te reproche rien, Gauvain, répondit la jeune fille. Il devait en être ainsi, et je sais bien qu’à force de provoquer le destin, on s’attire les pires ennuis. Mais que vais-je devenir maintenant, pauvre fille, dans ce pays qui n’est pas le mien ? – Belle, répondit Gauvain, ne suis-je pas toujours ton protecteur ? Sois assurée, si toutefois tu acceptes de suivre mon conseil, que je compenserai la perte que tu viens de subir. Certes, je ne m’étonne point que tu sois affligée, pleine de chagrin, d’amertume, mais compte sur moi pour te ramener à la cour du roi Arthur et t’y faire décerner les éloges que tu mérites. Tu y auras pour ami ou pour époux, selon ton choix, l’homme que tu auras distingué et qui aura su te plaire. – Seigneur, répondit-elle, qu’ajouterai-je ? Je ferai ce que tu dis. Puisque je me rends entièrement à ta merci, je te prie d’agir de telle manière que j’y trouve profit et que toi, tu puisses y acquérir honneur et considération. »
Ils se préparèrent alors à partir. Gauvain aida la jeune fille du cimetière à monter sur son bon palefroi. Lui-même enfourcha Gringalet, et le jeune homme, qui n’était pas bien lourd, installa volontiers devant lui, sur son roncin, la compagne d’Escanor. Puis ils se mirent en route.
Le jeune homme les conduisit, pour y prendre gîte, dans la forteresse où ils étaient allés d’abord. Ils y furent très bien traités, car le seigneur connaissait les usages. Pour l’amour de son beau-frère, il les accueillit avec grande joie. Il marqua un vif plaisir de la présence de Gauvain et fit preuve envers lui d’une courtoisie raffinée. Au matin, quand il vit que ses hôtes se préparaient à partir, il fit amener un palefroi richement harnaché dont il fit don à l’amie d’Escanor. Ainsi équipés, ils prirent congé de leur hôte et reprirent leur route, bien décidés à rejoindre Kaerlion sur Wysg avant la fin du jour et à se présenter devant Arthur et les barons.
Ils traversaient à belle allure une forêt quand, brusquement, Gauvain arrêta son cheval. Les autres l’imitèrent. « Qu’y a-t-il ? demandèrent-ils. – Écoutez, dit Gauvain, ces cris aigus… Ne sont-ce pas ceux d’une femme en grande difficulté ? » Ils fixèrent leur attention sur les mille bruits en provenance de la forêt. « Certes, s’exclama le jeune homme, enfin, tu dis vrai, ce sont bien là les cris d’une femme que l’on tourmente ! » Les jeunes filles acquiescèrent. « Par ma foi ! dit Gauvain, il n’est rien au monde qui m’empêcherait d’aller voir pourquoi cette malheureuse est en train de se lamenter de la sorte, et m’est avis que ce sentier me conduira tout droit où je dois aller. – Nous te suivrons, dit le jeune homme.
— Non pas, répondit Gauvain. Toi, tu resteras ici avec nos compagnes et tu m’y attendras. Quand je saurai ce qui se passe, je vous rejoindrai. Sois sûr que je ne m’attarderai pas, à moins qu’un événement ne me retienne. S’il advient que je rencontre toutefois une aventure qui m’empêche de revenir aussi vite que je l’espère, tu suivras cette grande route jusqu’à Kaerlion, puis tu t’y présenteras à la reine Genièvre et lui diras de ma part que je lui envoie ces jeunes filles afin qu’elle les accueille et les protège, que je la prie de les traiter avec honneur et bienveillance jusqu’à mon retour à la cour. Et si elle s’informe de toi-même ou des jeunes filles, n’hésite pas à lui raconter ce qui s’est passé. – Je ferai comme tu le désires, seigneur Gauvain, répondit le jeune homme. Je lui conterai point par point sans rien déguiser les aventures que nous avons vécues. »
Alors Gauvain
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