Gauvain
inconvenant. Ayant accordé l’hospitalité à cet homme, je lui dois aide et protection. Mais, puisqu’il est mon hôte, il doit exaucer mes prières. Sinon, je ne peux rien lui garantir. » Après force discussions, Escanor finit par se rendre à l’évidence. Marmonnant des menaces contre Gauvain et son compagnon, il accepta de confier la jeune fille à la dame du château, et celle-ci l’emmena immédiatement dans ses appartements, à la grande satisfaction du jeune homme qui se précipita chez le bourgeois pour informer Gauvain du plein succès de sa mission.
Alors seulement celui-ci consentit à s’asseoir et à se laisser désarmer. Son visage était blessé en plusieurs endroits, et le sang s’était répandu le long de ses joues. L’hôte avait une sœur, belle, courtoise et bonne, qui fit préparer un bain pour Gauvain et prit grand soin de lui. Ainsi fut-il remis de ses fatigues. Et l’on fit alors préparer le repas. Gauvain prit place confortablement près de la cheminée. À sa droite, il fit asseoir son hôte avec la jeune fille du cimetière ; à sa gauche, la sœur de son hôte et le jeune homme qu’il se prenait à chérir d’une grande affection. Ils eurent alors en abondance pain et vin, viande et poisson, volatiles rôtis, gibiers et tout ce dont ils avaient envie. L’hôte leur assura un service parfait, dans une atmosphère aussi détendue que plaisante. Et sitôt qu’ils eurent fini de souper, comme ils se sentaient épuisés, on dressa pour Gauvain un lit près du feu. C’est ainsi que le neveu d’Arthur se coucha et s’endormit sans même penser aux dures épreuves qui l’attendaient le lendemain.
Dans le château, dès qu’il fit grand jour, Escanor de la Montagne se leva et s’apprêta, car il lui déplaisait fort de s’attarder là : sa contrariété était vive qu’on l’eût privé de la jouissance de son amie cette nuit et la précédente. Un écuyer l’arma rapidement puis sella et brida sa monture. Alors, Escanor réclama la jeune fille, et la dame, comme convenu, la lui amena. Dans la maison du bourgeois, on vint dire à Gauvain qu’Escanor, brûlant d’impatience, avait déjà pendu son écu à son cou et venait de franchir les murs d’enceinte avec la jeune fille.
Gauvain prit très mal la nouvelle. Il eut tôt fait de se lever, s’habiller, demanda ses armes. Comme elles étaient très abîmées, le bourgeois, désireux de le satisfaire du mieux qu’il pouvait, lui apporta un heaume neuf et un élégant haubert conçu pour la joute, ainsi que des chausses blanches à mailles serrées. Puis il alla chercher une épée aussi brillante qu’acérée et un bouclier ornementé de la manière la plus précieuse qui fût. Jamais, de sa vie, Gauvain n’avait vu d’armes aussi splendides. Il dit alors à son hôte : « À Dieu ne plaise qu’un tel service demeure sans récompense ! Puisse-t-il me donner la force, le courage et le pouvoir de t’en montrer ma reconnaissance si l’occasion s’en présente un jour. » Le jeune homme et la fille de l’hôte s’empressèrent pour l’armer ; bientôt, leurs selles mises, les chevaux furent amenés. Dédaignant l’étrier, Gauvain sauta d’un bond sur le dos de Gringalet. Le jeune homme, dès qu’il se fut à son tour mis en selle, se chargea du bouclier et de la lance. Quant à l’hôte, il fit monter la jeune fille, puis il partit avec eux, souhaitant les conduire jusqu’à la lisière de la forêt. « Seigneur, dit-il quand ils y furent parvenus, je m’en retourne et vous recommande tous trois à la grâce de Dieu. » Gauvain et ses compagnons, après l’avoir encore une fois remercié, prirent congé de lui et pénétrèrent dans la forêt {10} .
2
Le Roi de la Rouge Cité
Ils durent chevaucher lentement, car le chemin était très étroit, tortueux, mais Gauvain se consolait en pensant qu’Escanor rencontrait les mêmes difficultés et ne pourrait guère prendre d’avance. Effectivement, quand ils eurent quitté la forêt, ils aperçurent à peu de distance le grand chevalier au bouclier vermeil. Gauvain piqua des deux, et il eut tôt fait de rattraper le ravisseur. « Chevalier ! s’écria-t-il, dépose à terre cette jeune fille ! Ton cheval l’a trop longtemps portée. Désormais, tu ne l’auras plus sans combat. Tu as assez disposé d’elle ! – N’en blâme personne d’autre que toi-même, répliqua Escanor. Par saint Lazare d’Avalon, tu aurais pu facilement
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